Le registre polémique - définition, procédés et exemples de textes

La polémique est l’apanage des régimes démocratiques, et le signe paradoxal de leur bonne santé. Lisez notre article sur le registre polémique pour en savoir plus.

Comment définir le registre polémique ?

On peut considérer qu’un texte relève du registre polémique lorsqu’il comporte des passages visant à rabaisser une personne ou un groupe, considérés comme l’adversaire.

Il s’agit d’une modalité de l’argumentation.

Comment différencier controverse, débat et polémique ?

a) La controverse

Lorsque des scientifiques explorent plusieurs pistes afin d’élucider une question, comme celle des raisons du changement climatique, on parle de controverse. Elle est encadrée par des règles édictées par les institutions concernées (l’université, par exemple).

b) Le débat

Lorsque des parlementaires échangent des arguments en vue de trouver un consensus, on parle de débat. (« « Sécurité globale » : le projet de loi fait débat à l’Assemblée » - www.lefigaro.fr, 18 novembre 2020). L’échange doit aboutir à une prise de décision.

c) La polémique

La modalité, ou registre, polémique, apparaît lorsqu’il y a décrédibilisation de l’autre, sur un terrain public, sans recherche d’accord ou d’apaisement.

Contrairement au registre didactique, le registre polémique consiste à faire valoir son point de vue en abaissant l’adversaire, en le diminuant aux yeux du public. Il ne s’agit en aucun cas de rechercher la vérité !

Comment reconnaître le registre polémique ?

Le registre polémique est reconnaissable en ce qu’il exacerbe les oppositions, et ce de trois façons, exposées par la chercheuse Ruth Amossy :

Quels sont les procédés du polémique ?

A : Une dichotomisation du débat

L’émetteur doit mettre en valeur son propos et minorer celui de l’adversaire. Pour cela, il a tendance à caricaturer les deux positions, au travers notamment de l’utilisation d’un vocabulaire manichéen.
Voici par exemple comment le journaliste Pascal Riché résume le débat sur la 5G, fustigeant le manichéisme de ses partisans et de ses détracteurs : “La 5G est-elle un gadget ne servant qu'à "regarder du porno en HD dans un ascenseur" (Eric Piolle) ? Ou trace-t-elle un chemin radieux vers de nouveaux usages indispensables ?” ("Le dilemme de la 5G" - par Pascal Riché). Les vocables de “gadget” ou de “chemin radieux”, par leur aspect caricatural, témoignent d’une volonté polémique et non didactique de la part de ceux qui les emploient.

L’émetteur polémiste peut aussi opérer des simplifications, en associant par exemple un individu à un groupe, comme le fait Paul B. Preciado en réduisant son auditoire à sa binarité dans son discours “Je suis un monstre qui vous parle” : “Mais pourquoi êtes-vous convaincus, chers amis binaires, que seuls les subalternes ont une identité ?”

B : Une rhétorique véhémente

Pour décrédibiliser l’adversaire, le polémiste peut recourir à des stratégies agressives :

a) La réfutation

Il peut mettre en scène le discours de l’adversaire pour en montrer les failles, ce que Voltaire ne se prive pas de faire en préambule de son article “Certain, certitude” : “Je suis certain ; j’ai des amis ; ma fortune est sûre ; mes parents ne m’abandonneront jamais ; on me rendra justice ; mon ouvrage est bon, il sera bien reçu ; on me doit, on me payera ; mon amant sera fidèle, il l’a juré ; le ministre m’avancera, il l’a promis en passant : toutes paroles qu’un homme qui a un peu vécu raye de son dictionnaire.”

b) La riposte

L’énonciateur ne cherchant pas à faire éclore la vérité, il peut attaquer l’adversaire non pas sur ses arguments, mais sur un élément annexe, ou antérieur au débat.
Pierre Oléron cite ainsi Georges Fillioud répondant à des critiques de l’opposition contre les mesures proposées par un nouveau gouvernement pour la radio et la télévision : “J’attendrais plus d’humilité de la part d’hommes qui ont contribué à mettre en place les institutions actuelles de l’audiovisuel et qui n’ont jamais levé la main pour protester contre les dénis de justice [...] Que ceux-là ne viennent pas aujourd’hui nous donner une leçon”.

c) Le vocabulaire évaluatif

L’avis doit être tranché, ce qui se ressent dans le choix d’un lexique péjoratif pour désigner l’adversaire ou ce qu’il incarne.

Voici, par exemple, ce que le critique Jacques Nerson a écrit au sujet de l’adaptation de la Recherche du temps perdu par Christophe Honoré : “Christophe Honoré s'est efforcé de le théâtraliser en supprimant l'essentiel de la partie narrative pour ne conserver que les dialogues. Ce qui revient à dessertir les pierres précieuses d'une parure ouvragée. À la fin, il reste d'un côté un petit tas de cailloux, de l'autre, une monture dégarnie. C'est la complète négation du génie de l'orfèvre. Ainsi désossée, "la Recherche" se disloque.” (Jacques Nerson, Pas touche à "la Recherche" !).

Les mots “cailloux”, “dégarnie” ou encore “désossée” révèlent le caractère polémique de cette prise de position.

d) L’invective

L’invective constitue une suite de paroles violentes, parfois même d’insultes. À l’écrit, elle apparaît surtout dans le genre pamphlétaire, où l’énonciateur prétend n’attaquer que parce qu’il se sent menacé, comme Céline provoquant le lecteur au début de Féérie pour une autre fois : “Ah je fais front ! Ah ! je vous emmerde ! Voyez ma rébellion ouverte.”

e) L’argument ad hominem

Il consiste à attaquer l’adversaire, non sur le fond de ses arguments, mais sur la contradiction entre ses opinions et ses choix personnels, ou entre ce qu’il dit et ce qu’il a pu affirmer auparavant. C’est la cohérence de la personne qui est mise en cause, et non son argumentation présente.

On peut citer Nicolas Sarkozy évoquant, lors d’un discours adressé à des militants de son parti en 2006, son attachement à la patrie : plutôt que d’exposer des arguments positifs en faveur de la France et de ses valeurs, il renvoie ses adversaires à de supposés choix personnels : “si certains se sentent gênés d'être en France, je le dis avec un sourire mais aussi avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas, parce que nous, notre pays, nous l'aimons !”

f) L’ironie

Elle est une arme au service de l’argumentation polémique. Pour en savoir plus, voir notre article dédié au registre ironique.

g) L’insinuation

Elle fait partie des procédés polémiques puisqu’elle est un moyen efficace de déstabiliser l’adversaire. Il a été reproché à Marine Le Pen d’en avoir usé et abusé lors de son débat avec Emmanuel Macron en 2017, qu’elle a accusé par exemple au détour d’une phrase de “conflits d’intérêt un peu problématiques avec une ancienne banque chez qui [il] travaillait”, sans étayer son propos.

C : Une forte implication de l’émetteur : la construction de l’ethos

Pour convaincre, l’émetteur doit donner une image séduisante de lui, que l’on appelle en rhétorique l’ethos. C’est pourquoi on peut repérer le registre polémique à la façon dont l’auteur met en avant sa légitimité, sa compétence ou encore son statut.
Il peut ainsi se présenter en porte-parole de son auditoire, comme Nicolas Sarkozy affirmant face à Ségolène Royal lors du débat de 2007 : “Je veux être le président de la République qui rendra la dignité aux victimes. Je ne mettrai jamais sur le même plan les victimes et les délinquants. Les fraudeurs et les honnêtes gens. Les truqueurs et la France qui travaille.”

La construction d’un ethos engageant peut aussi passer chez le polémiste par le recours à l’émotion : (contrairement à l’acteur d’une controverse, qui cherche à témoigner de son objectivité). On peut citer, toujours dans le débat de 2007, l’explosion de colère de Ségolène Royal, qui fut saluée pour sa pertinence stratégique par l’opposition elle-même : “Jouant la carte de l'incarnation, animée à l'occasion d'une « saine colère », Royal s'emploie à capitaliser les préoccupations populaires.” (Le Figaro du 4 mai 2007)

D : Une sollicitation constante du récepteur

Une des manifestations du registre polémique est la constante interpellation du lecteur, au travers de procédés tels que l’apostrophe, la question rhétorique, ou encore l’expressivité du ton (qui apparaît à l’écrit par la ponctuation). On peut citer un collectif de journalistes appelant le peuple à défendre la liberté de la presse : “Les lois de notre pays offrent à chacun d'entre vous un cadre qui vous autorise à parler, écrire et dessiner comme dans peu d'autres endroits dans le monde. Il n'appartient qu'à vous de vous en emparer.” (Lettre ouverte dans l'Obs en 2020)

Comment différencier le registre polémique du registre satirique ?

Dans un passage satirique, l’auteur se range du côté de la doxa. Le lecteur, appartenant comme lui à la catégorie des gens raisonnables, ne peut que souscrire aux moqueries dont vont faire l’objet les cibles de son discours. Dans une satire, pas la peine de présenter des arguments : les faits parlent d’eux-mêmes…

Dans un passage polémique, en revanche, l’auteur cherche à attirer le récepteur dans son camp, et de ce fait il formule des arguments, qu’ils soient positifs ou négatifs (dans le cas de la réfutation).

Comment différencier le registre polémique du registre ironique ?

Voir notre article sur l'ironie.

Où trouve-t-on le registre polémique ?

On le trouve généralement dans des situations où les points de vue sont violemment opposés (débat télévisé, procès…)

Très souvent cependant, un seul des deux points de vue est exposé : c’est le cas dans l’essai, le pamphlet, mais aussi la critique littéraire ou cinématographique.

Sources théoriques de cet article :