Le genre de la nouvelle possède des proto-formes dès le Moyen-Age, avec les fabliaux et autres lais. Il traverse les siècles, changeant de structure, de registre, de thème, parfois boudé, mais jamais totalement abandonné. Restif de la Bretonne lui rend ses lettres de noblesse en 1788 avec ses Nuits de Paris, et ouvre ainsi la voie au siècle suivant qui sera l’âge d’or de la nouvelle.
Chez les maîtres du genre, cohabitent deux pentes : la pente réaliste et la pente fantastique.
Comment savoir si une nouvelle est fantastique ?
Voici une définition simple que l’on pourrait donner du genre fantastique : façon de raconter, de présenter les événements, qui provoque la peur ou l’angoisse.
Sous l’influence des romantiques allemands et du roman gothique anglais, le fantastique est rapidement associé à des lieux et thèmes topiques : le château hanté, les revenants…
Pourtant, le fantastique peut être créé à partir de n’importe quel élément du quotidien…
Quelles sont les caractéristiques de la nouvelle fantastique ?
Selon Todorov, est proprement fantastique tout événement qui interdit de trancher entre une explication naturelle et une explication surnaturelle et maintient le héros comme le lecteur dans l'incertitude.
Maupassant se plaît par exemple, dans le Horla, à faire douter le lecteur en fragilisant l’identité du narrateur, dont on ne sait plus s’il est fiable.
On peut citer également la nouvelle de Stephen King « 1408 », dans laquelle une chambre d’hôtel semble hantée. Cependant, on apprend au fur et à mesure que le narrateur est psychologiquement instable, ce qui laisse planer le doute sur la véracité de ses propos.
Pourquoi la nouvelle est-elle propice à l’émergence du fantastique ?
Pour que l’on croit à l’émergence de phénomènes surnaturels, il faut que les événements s'enchaînent. Le lecteur ne doit pas avoir le temps de passer tous les faits au crible de la raison et de la science. C’est pourquoi la nouvelle est le lieu privilégié pour mettre en scène des forces occultes.
On connaît cependant des romans fantastiques dans lesquels l’auteur parvient à maintenir l’angoisse sur le long cours grâce à une analyse psychologique très fine, comme dans La Boîte en os d’Antoinette Peské ou Théorie de la vilaine petite fille d’Hubert Haddad.
Comment distinguer le fantastique du merveilleux ou de l’étrange ?
- L’étrange se manifeste lorsque le lecteur est déconcerté, lorsque plane le mystère aux frontières de la réalité, mais qu’une explication rationnelle est finalement donnée. Dans les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, par exemple, le personnage d’Heathcliff est certes brutal, machiavélique et souvent apparenté à des créatures comme le vampire ou la goule, mais le surnaturel qui entoure ses apparitions est toujours expliqué par le cauchemar d’un autre personnage ou les superstitions des villageois. Le lecteur n’est pas dans l’hésitation : il sait que l’univers dans lequel il baigne est réaliste.
- Le merveilleux, au contraire, ne provoque aucune inquiétude chez le lecteur. Le surnaturel est accepté et coexiste sans heurt avec les lois naturelles. On ne peut s’empêcher de citer les films de Disney, dans lesquels les animaux parlent sans que personne y trouve rien à redire.
Pourquoi lire une nouvelle fantastique ?
Le fantastique procure, incontestablement, du divertissement. Cependant, il ne peut y être réduit. En effet, il incarne le pouvoir suggestif de la littérature, capable de créer des mondes parallèles et de remettre en question le primat du réel sur la pensée (Grivel).
Quelle est la différence entre la nouvelle fantastique et la nouvelle réaliste ?
On ne doit pas les opposer car l’une est la condition de l’autre.
La nouvelle fantastique doit s'inscrire dans un cadre réaliste. En effet, il est indispensable que le lecteur ait été mis en conditions, qu’il adhère pleinement à l’univers proposé par l’auteur, pour mieux être déstabilisé par l’irruption du surnaturel. On peut penser à l’incipit de La Cafetière de Théophile Gautier, dans lequel le chemin emprunté par le narrateur est décrit avec force détails prosaïques, telle la « couche épaisse de terre grasse » qui colle à ses chaussures. Le lecteur est ainsi invité à accorder foi aux dires de ce dernier, et sera d’autant plus enclin à le croire lorsqu’il entamera la narration d'événements inexplicables.
Comment écrire une bonne nouvelle fantastique ?
On peut proposer cinq étapes pour fixer le canevas d’une nouvelle fantastique :
- poser un cadre réaliste
- introduire un élément inquiétant
- susciter le doute quant à la fiabilité du héros (menteur, psychologiquement instable, ostracisé par ses pairs…)
- décliner l'élément inquiétant choisi au début
- introduire à la fin un élément qui remettra en question l’interprétation proposée par les personnages. (La chute n’est cependant pas obligatoire. Elle ne participe pas à la définition du fantastique).
Comment écrire un récit fantastique en classe de 4e ?
Voici, par expérience, un scénario pédagogique opérant :
- partir d’un canevas existant (par exemple L’Apparition de Maupassant) et en faire repérer la structure aux élèves ; définir cinq ou six étapes
- former des groupes : chaque groupe soumettra à la classe ses propositions pour une étape donnée de l’histoire.
Voici un exemple de trame constituée à partir de L’Apparition de Maupassant :
- GROUPE 1 : Le « flashback » (ou analepse)
- Choix du héros ou de l’héroïne (identité, âge, caractère, habitudes…)
- choix de l’époque à laquelle se sont déroulés les événements surnaturels (quel siècle ? quelle décennie ?)
- pourquoi le héros/l’héroïne se trouve-t-il dans l’obligation de raconter ce qui lui est arrivé ? combien de temps après les faits ?
- à qui raconte-t-il ? à quel moment de la journée ? où ?
- GROUPE 2 : Lancement du récit au passé
- quel âge a le héros/l’héroïne à l’époque des faits ?
- quelle nouveauté dans la vie du héros/héroïne : rencontre avec une ancienne connaissance ? rencontre avec une nouvelle personne ? arrivée dans un nouveau lieu ?
- le héros/l’héroïne se retrouve chargé(e) d’une mission : laquelle ?
- s’est-il imposé cette mission, ou lui a-t-elle été donnée par quelqu’un ? combien de temps a-t-il pour accomplir sa mission ? pourquoi ?
- GROUPE 3 : L’arrivée sur les lieux
- Dans quel état d’esprit le personnage est-il : excité ? impatient ? contrarié ? pressé d’en finir ?
- où les phénomènes paranormaux vont-ils se produire ?
- à quoi ressemblent les lieux ?
- sont-ils habités ? si oui, par qui ? (humains ? animaux ?)
- quelles sont les premières impressions du personnage en découvrant les lieux ?
- quelles sont ses premières actions, en rapport avec sa mission ?
- GROUPE 4 : la rencontre avec le spectre
- qu’est en train de faire le personnage lorsque le spectre surgit ?
- comment s’aperçoit-il que quelqu’un est présent ?
- si le spectre est visible, à quoi ressemble-t-il ? femme ? homme ? quel âge ?
- qui est ce spectre, par rapport aux autres personnages ?
- que demande le spectre ?
- au bout de combien de temps le spectre disparaît-il ? pourquoi ?
- GROUPE 5 : Le retour à la réalité
- dans quel état d’esprit le personnage se trouve-t-il après le départ du spectre ?
- comment parvient-il à reprendre ses esprits ?
- a-t-il déjà accompli sa mission ou doit-il s’en charger ?
- par quel moyen quitte-t-il les lieux ?
- à quel endroit se sent-il à nouveau en sécurité ?
- alerte-t-il quelqu’un, ou choisit-il de ne parler à personne de sa mésaventure ?
- GROUPE 6 : Retour sur les événements, fin ouverte
- au bout de combien de temps le personnage se remet-il à réfléchir à ce qu’il s’est passé ?
- quelle hypothèse est la plus rationnelle ?
- quel élément lui fait cependant penser qu’il n’a pas rêvé ?
- que décide-t-il de faire ?
- pourquoi échoue-t-il à avoir des réponses sur ce qu’il s’est passé ?
- quels sont ses sentiments actuels sur les événements ? a-t-il changé ses habitudes depuis les événements ? s’en est-il remis ? a-t-il gardé des séquelles ?
Au fur et à mesure des propositions des différents groupes, la classe amende le récit, jusqu’à obtenir une trame cohérente.
À ce moment, le professeur liste les différentes étapes de la nouvelle à écrire, en fonction des choix des élèves, et attribue à chaque élève une partie à rédiger (en fonction de ses capacités. Les descriptions seront plus volontiers assignées à des élèves performants en expression écrite, tandis que les dialogues pourront être confiés à des élèves plus fragiles).
Une séance est consacrée à la mise bout à bout des extraits. Chaque groupe d’élèves veille à ce qu’il n’y ait pas d’incohérence entre les parties.
Une autre séance est consacrée à la dactylographie des extraits en salle informatique (on peut en profiter pour faire corriger leurs textes aux élèves sur https://www.scribens.fr/)
N.B. : un soin tout particulier doit être accordé à la conception de la chute. Je ne peux que vous conseiller de la trouver avec un petit groupe d’élèves volontaires, ayant bien compris le système narratif propre à la nouvelle.