Mélenchon ou Godzilla ?

Dans cette chronique, David Caviglioli attaque Raphaël Enthoven sur ses prises de position concernant un éventuel second tour Mélenchon-Le Pen. La tonalité polémique du texte n'est pas décelable à la première lecture car elle passe intégralement par l'ironie et le raisonnement par l'absurde, et souvent aussi par la parodie (qui nécessite d'avoir eu connaissance des propos tenus par Enthoven). L'énonciation est complexe puisque le journaliste feint d'exprimer son opinion en parodiant celle du philosophe, laissant le lecteur indécis.

Le 8 juin 2021, à un an de l'élection présidentielle, le très médiatisé Raphaël Enthoven, dans une série de tweets, renvoie dos à dos l'extrême-gauche et l'extrême-droite, s'interroge pour savoir "qui est le pire du pire ?" puis déclare finalement qu'en cas de duel il voterait plutôt Marine Le Pen (présidente du Rassemblement National), que Jean-Luc Mélenchon (président de La France Insoumise). Face à la polémique engendrée par ses tweets, il se justifie sur la chaîne LCI en disant préférer "Trump que Chavez". Le 17 juin, le journaliste David Caviglioli, lui répond en parodiant ses arguments mais aussi ses mots dans une chronique dont l'ironie n'est identifiable que pour les lecteurs ayant suivi la polémique.


Par RAPHAEL ENTHOVEN (OU PRESQUE)


Imagine, me demande-t-on souvent : au second tour de la présidentielle s'affrontent Jean-Luc Mélenchon et Godzilla, le lézard nucléaire géant..." Bien entendu, je pourrais me défiler, et répondre qu'une telle hypothèse ne relève que de la pure fiction : Jean-Luc Mélenchon est trop décrédibilisé pour atteindre le second tour d'une élection nationale !

Mais c'est trop facile. Refuser la comparaison, ce serait manquer de courage. Alors, affrontons cette question difficile : qui est le pire du pire ? Mélenchon ou Godzilla ? Vaut-il mieux élire un populiste hanté par un marxisme hors d'âge ou un reptile de cent cinquante mètres de haut qui veut annihiler l'humanité et crache par la bouche un rayon atomique ?

Commençons par le plus important : leur rapport à la laïcité. Godzilla ne s'est jamais exprimé sur le sujet. D'aucuns, et j'en suis, trouveront ce silence suspect. Certes, cela tient peut-être à sa mauvaise maîtrise du langage humain. L'argument peut s'entendre. Pour le moment, Godzilla s'est surtout préoccupé d'atomiser des millions de Tokyoïtes apeurés en hurlant "SKREEEEEEEEONK !" En attendant que cette ambiguïté sur la question laïque soit levée, la méfiance est de mise.

Du côté de Mélenchon, en revanche, le doute n'est plus permis. La liste de ses compromissions avec les ennemis de la République est si longue qu'un tweet n'y suffirait pas. Il a participé à une manifestation contre l'islamophobie où d'autres que lui ont crié "Allahou akbar". Il a tenu des propos éhontément complotistes. il a certes prononcé certains discours qui méritent d'entrer dans l'histoire républicaine, contrairement à Godzilla, qui n'a jamais rien fait d'autre qu'écraser des voitures avec son pied fourchu et détruire des gratte-ciel en balançant sa grande queue à écailles. Mais que nous importe que Mélenchon ait été républicain puisqu'il ne l'est plus ? A ce stade, donc, léger avantage à Godzilla.

Reste le plus important : que feront-ils une fois au pouvoir ? J'ai toujours été un adversaire résolu de Godzilla. Combien de fois suis-je allé débattre sur des plateaux de télévision avec ses lieutenants, Godzilla Junior, SpaceGodzilla ou Godzooky - des monstres par ailleurs respectables, que je traite avec la courtoisie républicaine qu'ils méritent, même si je ne partage rien avec eux ? Je suis bien placé pour savoir ce qu'ils comptent faire de la France : la détruire au rayon atomique, y pondre leurs milliers d'oeufs géants.

La perspective d'une France gouvernée par Mélenchon est bien plus inquiétante : les départements de sciences sociales dans les universités historiquement liées à la gauche intellectuelle seront à jamais abandonnés aux islamo-gauchistes et aux décoloniaux. Or à cela on ne peut se résoudre. La voilà, la vraie apocalypse. Face à des méga-iguanes gluants capables de rayer une ville de la carte en quelques jours, on peut résister, prendre les armes, voire chercher à les ramener dans la paix républicaine. Mais que peut-on face à des sociologues qui ne vous invitent pas à leur colloque ?

Je peux encore changer d'avis. Mais je crois que, s'il fallait choisir entre les deux, et si le vote blanc n'était pas une option, j'irais à 19h59 voter pour Godzilla le Destructeur en me disant, sans y croire : "Plutôt un amphibien génocidaire venu du noyau terrestre que Chavez."

Juste une petite question avant de vous laisser lire le texte 😇

Afin de proposer un contenu adapté, nous avons besoin de mieux vous connaitre.

Résumé

La chronique s'ouvre sur une parodie de Raphaël Enthoven se targuant de faire preuve de "courage" en répondant à un "dilemme amusant que les gens se posent" : "qui est le pire du pire" (Twitter, le 7 juin 2021) : Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ? Raisonnant par l'absurde, le chroniqueur pose un nouveau dilemme : plutôt Godzilla ou Jean-Luc Mélenchon ? Il imagine d'abord la position des deux candidats sur la laïcité. De même que Raphaël Enthoven n'évoquait que les idées de JL Mélenchon, sans jamais rappeler celles de Marine Le Pen, le chroniqueur balaie celles de Godzilla. Puis feint d'éreinter le président de la France Insoumise en reprenant les arguments d'Enthoven, et même sa formule : "que nous importe que Mélenchon ait été républicain puisqu'il ne l'est plus ?" L'auteur parodie ensuite le philosophe en transformant des propos sur l'extrême-droite en propos sur Godzilla, afin de rappeler qu'Enthoven est tout à fait conscient du danger incarné par Marine Le Pen. Dans l'avant-dernier paragraphe, il choisit l'ironie par antiphrase : il prétend ainsi que les réunions non-mixtes sont un danger bien plus sérieux que les "méga-iguanes gluants". Pour conclure, David Caviglioli parodie le tweet d'Enthoven qui avait soulevé la polémique initiale, en remplaçant Trump par Godzilla.
Œuvre : L'Obs, n°2955, 17 juin 2021
Auteur : David Caviglioli
Parution : 2021
Siècle : XXIe

Thèmes

démocratie, République, extrême-gauche, choix

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Sans objet
Genre : Chronique, Pastiche
Dominante : Argumentatif
Registre : Ironique, Parodique, Polémique
Notions : ironie, parodie, dichotomisation, citation, situation d'énonciation

Entrées des programmes

  • 3e - Vivre en société, participer à la société : dénoncer les travers de la société
  • 2nde - La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle

Les figures de style et procédés d'écriture

  • métaphore et hyperbole
  • raisonnement par l'absurde
  • citation parodique
  • antiphrase
  • antiphrase
  • citation parodique
  • citation parodique
  • antiphrase
  • ironie par décalage

Approfondir les notions littéraires présentes dans ce texte

Le registre ironique

Un texte est ironique lorsque l’auteur dit le contraire de ce qu’il veut faire entendre au lecteur. Lisez notre article sur l'ironie.

Le registre polémique

On peut considérer qu’un texte relève du registre polémique lorsqu’il comporte des passages visant à rabaisser une personne ou un groupe, considérés comme l’adversaire. Lisez notre article sur le registre polémique.

Textes et œuvres en prolongement

https://www.franceinter.fr/politique/voter-le-pen-plutot-que-melenchon-en-cas-de-duel-raphael-enthoven-met-le-feu-a-twitter