Incendies : la tirade de Nawal - Briser le cycle de la violence

Dans cette tirade tirée de sa pièce Incendies, Wajdi Mouawad utilise tous les types de phrases pour rythmer sa tirade et exprimer la violence de Nawal.

SAWDA. Alors on bouge pas, c’est ça ? 

NAWAL. Mais tu veux convaincre qui ? Tu ne vois pas qu’il y a des hommes que l’on ne peut plus convaincre ? Des hommes que l’on ne peut plus persuader de quoi que ce soit ? Comment tu veux expliquer au type qui hurlait aux oreilles de cette femme « Choisis! Pour l’obliger à condamner elle-même ses enfants, qu’il s’est trompé ? Qu’est-ce que tu crois ? Qu’il va te dire : « Ah ! Mademoiselle Sawda, votre raisonnement est intéressant, je cours tout de suite changer d’avis, changer de cœur, changer de sang, changer de monde, d’univers et de planète et je vais m’excuser sur-le-champ » ? Qu’est-ce que tu penses ! Qu’ en allant faire saigner de tes mains sa femme et son fils tu vas lui apprendre quelque chose ! Tu crois qu’il va dire du jour au lendemain, avec les corps de ceux qu’il aime à ses pieds : « Tiens, ça me fait réfléchir et c’est vrai que les réfugiés ont droit à une terre. Je leur donne la mienne et nous vivrons en paix et en harmonie ensemble tous ensemble ! » Sawda, quand on a arraché mon fils de mon ventre puis de mes bras, puis de ma vie, j’ai compris qu’il fallait choisir : ou je défigure le monde ou je fais tout pour le retrouver. Et chaque jour je pense à lui. Il a vingt-cinq ans, l’âge de tuer et l’âge de mourir, l’âge d’aimer et l’âge de souffrir ; alors à quoi je pense, crois-tu, quand je te raconte tout ça ? Je pense à sa mort évidente, à ma quête imbécile, au fait que je serai à jamais incomplète parce qu’il est sorti de ma vie et que jamais je ne verrai son corps là, devant moi. Ne pense pas que la douleur de cette femme je ne la ressens pas. Elle est en moi comme un poison. Et je te jure, Sawda, que moi la première, je prendrais les grenades, je prendrais la dynamite, les bombes et tout ce qui peut faire le plus de mal, je les enroulerais autour de moi, je les avalerais, et j’irais tout droit au milieu des hommes imbéciles et je me ferais exploser avec une joie que tu ne peux pas même soupçonner. Je le ferais, je te jure, parce que moi je n’ai plus rien à perdre, et ma haine est grande, très grande envers ces hommes ! Tous les jours je vis dans le visage même de ceux qui détruisent nos vies. Je vis dans chacune de leurs rides et je n’ai qu’à faire ça pour les décharner jusqu’à la moelle de leur âme, tu m’entends ? Mais j’ai fait une promesse, une promesse à une vieille femme d’apprendre à lire, à écrire et à parler, pour sortir de la misère, sortir de la haine. Et je vais m’y tenir, à cette promesse. Coûte que coûte. Ne haïr personne, jamais, la tête dans les étoiles, toujours. Promesse à une vieille femme pas belle, pas riche, pas rien de rien, mais qui m’a aidée, s’est occupée de moi et m’a sauvée. 

Œuvre : Incendies
Auteur : Wajdi Mouawad
Parution : 2003
Siècle : XXIe

Thèmes

violence, résilience

Notions littéraires

Narration : Sans objet
Focalisation : Sans objet
Genre : Théâtre, Tragédie
Dominante : Argumentatif
Registre : Polémique, Lyrique
Mouvement : Littérature contemporaine
Notions : types de phrases, tirade, parallélisme

Entrées des programmes

  • 3e - Vivre en société, participer à la société : dénoncer les travers de la société
  • 2nde - Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
  • 1ere - Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Approfondir les notions littéraires présentes dans ce texte

Le registre polémique

On peut considérer qu’un texte relève du registre polémique lorsqu’il comporte des passages visant à rabaisser une personne ou un groupe, considérés comme l’adversaire. Lisez notre article sur le registre polémique.