Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes1,
Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.
Je laisse à Gavarni2, poète des chloroses3,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu'il faut à ce cœur profond comme un abîme,
C'est vous, Lady Macbeth4, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle5 éclos au climat des autans6,
Ou bien toi, grande Nuit7, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas8 façonnés aux bouches des Titans.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et idéal », XVIII, 1857
1 Les romantiques, tel Mérimée, aimaient mettre en scène des personnages de danseuses espagnoles.
2 Gavarni : Dessinateur que Baudelaire appréciait peu
3 Chlorose : pâleur maladive
4 Lady Macbeth : personnage de meurtrière de Shakespeare, et tableau de Delacroix
5 Eschyle : auteur de tragédies antiques grecques
6 Autans : vents violents
7 Nuit : mère des Titans, et statue célèbre de Florence
8 Appas : beautés féminines