En 1750, alors qu'il mène une expédition au Sénégal, le narrateur s'écroule de son cheval. Ses compagnons de route lui racontent qu'une guérisseuse a pris l'initiative de s'occuper de lui.
Ndiak m’avait avoué qu’ils n’en menaient pas large, lui et même Seydou Gadio malgré son âge et son expérience car la guérisseuse était impressionnante. Appuyée sur un long bâton recouvert de cuir rouge incrusté de cauris1, elle avait le visage à moitié caché par une sorte de capuche taillée dans la peau d’un serpent d’une taille monstrueuse. Outre la capuche, la peau de serpent lui couvrait les épaules et lui tombait jusqu’aux pieds comme un manteau vivant. Striée de jaune pâle sur un fond noir de jais, la peau avait un aspect huileux et luisant. La vieille femme avait donné le sentiment à Ndiak, quand elle s’était retournée, claudicante, pour rentrer dans la case principale de sa concession où elle avait commandé qu’on m’installe, qu’elle était un être indéfinissable, mi-femme, mi-serpent. Sous ce manteau hideux, tout le corps de la guérisseuse était dissimulé dans une combinaison cousue d’une seule pièce dans un tissu couleur d’argile rouge. Et le bas de son visage, la seule partie visible d’elle, était recouvert d’un amalgame de terre séchée blanchâtre qui, craquelé aux commissures de ses lèvres, donnait à sa bouche la largeur de la gueule immonde du serpent dont la peau la couvrait. Malgré son âge avancé, trahi par son dos voûté, ses gestes étaient vifs et elle ponctuait chacune de ses paroles, prononcées à voix basse et grave, par un coup sec de son long bâton sur le sol. C’est ainsi qu’elle avait intimé l’ordre à Ndiak, Seydou Gadio et toute notre troupe de ne pas camper près de sa concession. Qu’ils aillent s’installer à l’autre bout du village, elle les ferait appeler quand je serais guéri.
1cauris : coquillage blanc ressemblant à un grain de café