Oui, mais les mots. Leur choix. Leur assemblage. Leur tendance à se remettre dans les mêmes plis. On a beau les repasser, les marques restent. Il y a des mots dont la tête ne me revient pas, je les élimine, c’est plus facile que d’enrichir leur choix. Ce que j’appelle les plis, ce sont les tics, les tournures qui vous sont habituelles, si bien que la libre mise en mots devient une mise en plis rigide. Je regarde cette page que j’écris et cela me fait le même effet que de me regarder dans une glace : «Mon Dieu, encore cette même tête ! » Que ne ferait-on pas pour changer de tête, et comme je comprends les folies romancières… Mais pis encore est le faux changement, l’invention-bidon, la découverte qui n’en est pas une : ni poudre ni fission d’atome, ni trouvaille ni recherche, mais l’agonie du noyé. Lorsque j’ai porté à Robert Denoël Bonsoir, Thérèse, mon premier manuscrit en français, il m’a demandé de mettre sur la couverture du futur volume, roman, bien que ce fût une suite de nouvelles vaguement reliées entre elles par la recherche d’une Thérèse. Ainsi pourrait-on relier toute l’œuvre d’un romancier comme si c’était un seul et même roman : ses écrits, aussi divers soient-ils, forment nécessairement un univers homogène, celui de leur créateur. Comme toutes les toiles d’un peintre, comme tous les opus d’un musicien. Un créateur ne s’évade pas de lui-même, quoi qu’il fasse. Il créera un monde entre ses quatre murs, et rien n’est aussi douloureux pour lui que les tentatives d’en sortir pour se dépasser.