Un texte contemporain sur l'acte d'écrire : Grégoire Delacourt - Deuil et inspiration

Dans cet extrait de la postface à son roman La Liste de mes envies, Grégoire Delacourt revient avec émotion sur sa relation avec sa mère, dans un style à la fois classique et lyrique. Cette postface se veut à la fois leçon de vie et réflexion sur le processus d’écriture à l’œuvre dans une fiction, notamment la transfiguration du matériau autobiographique.

[…] Depuis que j’ai lu votre livre, La liste de mes envies, je sais. Je fais comme votre mercière, je lui invente des vies et elle semble heureuse, et moi aussi. Merci. » Ses yeux brillaient, les miens pleuraient.

La rencontre entre un livre et son public est extraordinaire.

            J’ai pensé ce soir-là que cet homme était la réponse que je cherchais lorsqu’on me demande pourquoi j’écris. J’aime penser qu’un livre peut changer des morceaux de vie, des bouts de phrases ; faire prendre des chemins de hasard.

           J’ai écrit ce livre parce que ma mère me manque. Et même si elle n’a jamais été mercière, elle tricotait. Je me souviens de cagoules en laine qui tombaient sur mes yeux ou serraient comme un bas, de pulls où les manches étaient trop longues et la fois d’après trop courtes ; elle essayait de s’accorder à la vitesse de mon corps qui changeait et je savais que ces vêtements étaient ses bras, son réconfort. Et plus tard, des années plus tard, lorsqu’elle est partie, j’ai voulu la retenir.

           Je voulais encore des mots d’elle, encore son regard sur les choses, sa mélancolie et sa joie ; j’ai créé Jocelyne Gorbette. Le temps d’un livre, je suis devenu elle, ce personnage ; j’ai rêvé pour elle d’un moment où l’on peut enfin décider de sa vie. J’ai cherché à tisser notre lien perdu et elle est devenue mercière.

         Une mercière qui saurait ce que pressentait Thomas d’Aquin : le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède.

       La question qu’on m’a le plus souvent posée est comment j’avais fait pour parvenir à ce point, dans le livre, à être si près des femmes, à si bien les comprendre. La réponse est juste ci-dessus ; dans ce manque. Elle est aussi dans les gestes, la bienveillance, l’esprit de celles qui m’entourent, ma femme, mes trois filles ; chez tant d’autres encore, qui partagent mon métier, depuis toutes ces années. Je voulais leur dire que je les aimais ; et comme l’écrivait Sagan, que cite Jocelyn dans son ultime lettre : « aimer, c’est surtout comprendre. »

        Dès le début, ce livre a été une joie.

         La joie de l’écriture. La joie, quand Karina Hocine a trouvé le titre. La joie, après l’incroyable coup de fil d’Eva Bredin du Salon de Francfort où douze pays étaient en train d’acquérir les droits du livre (qui ne sortirait en France que quelques mois plus tard.) La joie, ce jour où nous avons su que le livre deviendrait un film. Qu’il rejoindrait le prestigieux catalogue du Livre de Poche. La joie de la première lettre de lectrice. La joie, à la dixième. A la centième. La cinq centième. A chaque fois, cette joie. […]


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Résumé

Grégoire Delacourt se souvient d’une rencontre avec un lecteur, et en tire la justification de son métier d’écrivain : changer la vie des gens. Il revient ensuite sur la genèse de son roman, inspiré de sa propre mère, qu’il a cherché à faire revivre à travers le personnage de Jocelyne. Il explique que c’est le manque de sa mère, et l’omniprésence des femmes autour de lui qui lui permet de si bien retranscrire les émotions féminines. Il évoque enfin le succès du livre, et la joie qui en a découlé.
Œuvre : La Liste de mes envies
Auteur : Grégoire Delacourt
Parution : 2012
Siècle : XXIe
Place de l'extrait dans l'œuvre : Postface

Thèmes

processus d’écriture, travail de l’écrivain, inspiration, deuil, relation mère fils, famille

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Sans objet
Genre : Autobiographie
Dominante : Narratif
Registre : Lyrique, Pathétique
Mouvement : Littérature contemporaine
Notions : péritexte, pathos, écriture classique, parallélisme

Entrées des programmes

  • 2nde - La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
  • 2nde - Le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle
  • 1ere - Le roman et le récit du Moyen-Age au XXIe siècle

Les figures de style et procédés d'écriture

  • Il s'agit de rendre sa mère présente, de combler le vide qu'elle a laissé, par la répétition du pronom personnel "elle", répété quatre fois, associé avec l'adjectif possessif "son, sa" qui fusionnent pour former le pronom unificateur: "notre" ."u

Textes et œuvres en prolongement

Gérard Genette, "Seuils"