[…] Depuis que j’ai lu votre livre, La liste de mes envies, je sais. Je fais comme votre mercière, je lui invente des vies et elle semble heureuse, et moi aussi. Merci. » Ses yeux brillaient, les miens pleuraient.
La rencontre entre un livre et son public est extraordinaire.
J’ai pensé ce soir-là que cet homme était la réponse que je cherchais lorsqu’on me demande pourquoi j’écris. J’aime penser qu’un livre peut changer des morceaux de vie, des bouts de phrases ; faire prendre des chemins de hasard.
J’ai écrit ce livre parce que ma mère me manque. Et même si elle n’a jamais été mercière, elle tricotait. Je me souviens de cagoules en laine qui tombaient sur mes yeux ou serraient comme un bas, de pulls où les manches étaient trop longues et la fois d’après trop courtes ; elle essayait de s’accorder à la vitesse de mon corps qui changeait et je savais que ces vêtements étaient ses bras, son réconfort. Et plus tard, des années plus tard, lorsqu’elle est partie, j’ai voulu la retenir.
Je voulais encore des mots d’elle, encore son regard sur les choses, sa mélancolie et sa joie ; j’ai créé Jocelyne Gorbette. Le temps d’un livre, je suis devenu elle, ce personnage ; j’ai rêvé pour elle d’un moment où l’on peut enfin décider de sa vie. J’ai cherché à tisser notre lien perdu et elle est devenue mercière.
Une mercière qui saurait ce que pressentait Thomas d’Aquin : le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède.
La question qu’on m’a le plus souvent posée est comment j’avais fait pour parvenir à ce point, dans le livre, à être si près des femmes, à si bien les comprendre. La réponse est juste ci-dessus ; dans ce manque. Elle est aussi dans les gestes, la bienveillance, l’esprit de celles qui m’entourent, ma femme, mes trois filles ; chez tant d’autres encore, qui partagent mon métier, depuis toutes ces années. Je voulais leur dire que je les aimais ; et comme l’écrivait Sagan, que cite Jocelyn dans son ultime lettre : « aimer, c’est surtout comprendre. »
Dès le début, ce livre a été une joie.
La joie de l’écriture. La joie, quand Karina Hocine a trouvé le titre. La joie, après l’incroyable coup de fil d’Eva Bredin du Salon de Francfort où douze pays étaient en train d’acquérir les droits du livre (qui ne sortirait en France que quelques mois plus tard.) La joie, ce jour où nous avons su que le livre deviendrait un film. Qu’il rejoindrait le prestigieux catalogue du Livre de Poche. La joie de la première lettre de lectrice. La joie, à la dixième. A la centième. La cinq centième. A chaque fois, cette joie. […]