Un texte argumentatif sur la science - De la vie sur Vénus ?

Dans cet article scientifique, le journaliste fait la synthèse de plusieurs points de vue en utilisant habilement le discours rapporté et en suivant un plan rigoureux.

Des indices de vie dans l’atmosphère de Vénus ?

Une équipe anglo-américaine affirme avoir trouvé des traces d’un biomarqueur, la phosphine, dans l’atmosphère de la planète. Sa démonstration laisse sceptiques bon nombre de spécialistes.

Par David Larousserie Publié le 14 septembre 2020 à 17h00 - Mis à jour le 15 septembre 2020 à 07h55

Avec trois lancements cet été vers la Planète rouge, en quête de traces de vie passée, ce devait être l’année martienne. Mais voilà que l’inhospitalière Vénus lui vole la vedette sur la question de la vie extraterrestre.

Une équipe anglo-américaine annonce en effet, dans la revue Nature Astronomy du lundi 14 septembre, avoir observé dans les épais nuages de l’étoile du Berger, la marque de la présence d’organismes vivants. Plus précisément, elle pense avoir identifié un gaz, la phosphine, ou phosphure d’hydrogène, de formule PH3, dont l’origine et la quantité dans l’atmosphère ne s’expliquent pas par des mécanismes physico-chimiques abiotiques – non biologiques.

Mais entre cette observation inattendue et la conclusion extraordinaire, la démonstration est loin d’être parfaite, avec des étapes qui restent à confirmer et à éclaircir. Prudents, les chercheurs écrivent d’ailleurs en conclusion que, « même si c’était confirmé, la détection de phosphine n’est pas une preuve solide de vie ».Cette hypothèse de la vie sur Vénus est dans l’air depuis longtemps. Le célèbre astronome Carl Sagan, en 1967, dans la revue Nature, explorait déjà un tel scénario. Il privilégiait les nuages a priori moins hostiles que la surface de la planète, où règnent des températures de plus de 450 °C et une pression de 90 atmosphères, soit l’équivalent, sur Terre, d’une plongée à 900 mètres de fond. En altitude, il ne fait plus que quelques dizaines de degrés et la pression est comparable à celle de la Terre. Seul petit détail, l’acidité, à cause de l’acide sulfurique, y est bien plus élevée que dans les pires endroits habitables sur notre planète.

Longueurs d’onde

Reprenons les étapes de la démonstration. Premier maillon, la détection. L’équipe des universités de Cambridge, Cardiff et du MIT a scruté le ciel vénusien à l’aide de deux télescopes, le James Clerk Maxwell (JCMT), à Hawaï, et ALMA, au Chili (opéré par l’Observatoire européen austral). Ces instruments voient quelles longueurs d’onde émises par la surface de Vénus sont absorbées par les composants de son atmosphère. La position des diverses raies d’absorption est une signature des éléments chimiques présents.

« Ce sont des mesures difficiles car le contraste entre l’absorption ambiante et celle de la phosphine est très faible, avec en plus un signal d’absorption globale qui fluctue », explique Jane Greaves, responsable de l’équipe à l’université de Cardiff. Le signal attribué à la phosphine est ainsi 10 000 fois plus faible que le signal principal… Un clapotis au milieu d’une mer déchaînée. « Jane et ses collègues observateurs ont travaillé très dur pour extraire ce signal, ce qui n’était pas facile », apprécie Clara Sousa-Silva, membre de l’équipe du MIT et spécialiste de la chimie de la phosphine.

« Ces observations sont très difficiles en effet. J’ai des doutes sur la méthode statistique employée, qui m’apparaît biaisée en faveur de leur hypothèse. Ils ont traité les données autour de la zone qui les intéressait a priori, estime Bruno Bézard, directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de Paris. J’ai du mal à croire à cette raie. »

Les nombreux mystères de l’atmosphère vénusienne

Son collègue à l’Observatoire Emmanuel Lellouch a des doutes lui aussi. « Compte tenu de la forte intensité de la source, je suis plus que sceptique sur le fait de pouvoir observer un si petit signal. Leur “torture” des données ne me convainc pas. » Il rappelle aussi que des membres de cette équipe ont par le passé annoncé du méthanol sur Encelade, un satellite naturel de Saturne, annonce qu’il a trouvée « peu convaincante », et du monoxyde de carbone autour de Pluton, dans des quantités considérables qui n’ont pas été confirmées.« Il semble y avoir quelque chose, mais est-on sûr que ce soit bien de la phosphine ? », se demande Thérèse Encrenaz, directrice de recherche émérite au CNRS à l’Observatoire de Paris, qui désigne les nombreux mystères de l’atmosphère vénusienne susceptibles de réserver des surprises : le cycle du soufre reste méconnu, tout comme le rôle des aérosols ; il y a aussi ces taches sombres qui apparaissent dans l’ultraviolet et que certains ont attribuées à des micro-organismes… « Une seule raie ne suffit pas pour identifier une molécule », insiste la chercheuse, qui espère que des astronomes chercheront des signatures de la phosphine dans d’autres longueurs d’onde.

« Nous sommes confiants car nous avons fait la détection avec deux instruments différents, rappelle Jane Greaves. En 2017, le JCMT avait donné de premières indications, mais pas très convaincantes. D’où le recours à ALMA en mars 2019. Il fallait être patients mais ça valait le coup. »

« J’ai l’impression qu’on va vivre un remake du feuilleton du méthane martien », sourit Emmanuel Marcq, du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos) (CNRS, Sorbonne Université et université de Versailles-Saint-Quentin).

Depuis vingt ans, cet autre gaz fait débat : sa présence sur Mars, son cycle mais aussi son origine, biologique ou non… L’équipe prévoit de toute façon de refaire des observations. Ses détracteurs pourront aussi réanalyser les données afin de valider la méthode utilisée.Quelle explication ?

Le second maillon de la démonstration n’est pas moins discuté. Si cette présence de phosphine est confirmée, il faut encore l’expliquer. Ce gaz a déjà été détecté dans les planètes géantes Jupiter et Saturne, mais son origine y est bien moins mystérieuse et sans rapport avec la vie.

« Les basses couches de ces planètes sont des régions avec des températures et des quantités d’hydrogène suffisantes pour créer facilement du PH3, explique Clara Sousa-Silva. Celle-ci est ensuite violemment transportée vers de plus hautes couches, là où on voit ces molécules. Il n’y a pas de telles conditions sur les planètes telluriques. » On ne s’attendait donc pas à trouver cette forme hydrogénée du phosphore dans Vénus. Pourtant, l’équipe a testé plusieurs recettes : une synthèse à partir d’acide phosphorique, l’action de lumière et de radicaux libres, un choc électrique violent par des éclairs, un apport de météorite… Toutes ces recettes fonctionnent mais cela ne produit pas assez de phosphine dans Vénus, selon les chercheurs.

« Il faut expliquer cette présence dans une telle atmosphère. Mais cela pourrait avoir des conséquences sur notre compréhension de la chimie du phosphore atmosphérique dans d’autres planètes », estime Emmanuel Marcq. Malheureusement, l’équipe est peu diserte dans cet article sur ces modèles de production de phosphine, dont les détails seront exposés, annoncent-ils, dans un futur article.


Vient ensuite la troisième étape du raisonnement – si la phosphine existe bien. Si elle n’est pas produite par des processus physico-chimiques, alors il reste l’hypothèse d’une origine biologique. Cela est d’autant moins absurde qu’il existe de tels processus sur Terre conduisant à une production de phosphine dans les marais, les rizières ou les eaux usées.

Justement, une partie de l’équipe, le 31 janvier, avait publié un article montrant que la phosphine peut être considérée comme un biomarqueur, c’est-à-dire un élément prouvant qu’un métabolisme vivant est à l’œuvre. Les chercheurs estiment même que, pour produire les quantités mesurées dans les nuages vénusiens, un métabolisme dix fois moins efficace que ceux existant sur Terre suffirait. Au petit détail près que, même si des organismes peuvent résister à des acidités très fortes, on n’en connaît pas produisant de la phosphine dans un milieu aussi concentré en acide sulfurique.

Lier la phosphine à la vie peut sembler paradoxal car ce gaz est un poison redoutable pour les humains, il a même été utilisé comme pesticide sur Terre. « C’est une molécule très dangereuse… pour nous. Mais pour la partie de la biosphère qui n’a pas besoin d’oxygène pour vivre, elle est inoffensive. C’est seulement l’interaction entre la phosphine et l’oxygène qui la rend si mortelle », rappelle Clara Sousa-Silva, qui, avec ses collègues, promet un prochain article détaillant les divers scénarios biochimiques qu’ils ont élaborés.

Un « énorme enjeu »

Enfin, pour clore le scénario, il reste à imaginer à quoi ressemblerait cette vie extraterrestre. Même si aux altitudes estimées de la présence de phosphine, vers 60 kilomètres de la surface, la température est clémente (30 °C à 50 °C) et la pression raisonnable (une atmosphère), il reste au moins trois défis pour survivre : la superacidité ambiante, le peu d’eau et la tenue en suspension, afin d’éviter les « flammes » inférieures et les destructions photochimiques en hauteur.

C’est justement ce que résout un autre article d’une partie de l’équipe, publié en août. Sans évoquer la phosphine, les chercheurs imaginent une vie enfermée dans des gouttes, mélange d’eau et d’acide, qui abriteraient des micro-organismes. Ces oasis grossiraient, puis tomberaient en se desséchant, formant des dépôts microscopiques qui remonteraient par des ascenseurs convectifs – des courants d’airs. A une certaine altitude, ils serviraient de noyaux de condensation à l’eau, ce qui reformerait des gouttes et recommencerait un cycle…

« Cette forme de vie est soit semblable à la nôtre, mais devrait en permanence lutter pour sa survie afin d’extraire le peu d’eau dont elle dispose. Soit c’est une forme nouvelle qui n’aurait pas de problèmes majeurs avec l’acidité et la sécheresse. J’espère que ce soit la seconde, pour qu’elle soit heureuse ! », détaille Clara Sousa-Silva.

« Cette question de la vie est un énorme enjeu. Si elle était confirmée, cela indiquerait que la probabilité d’apparition de la vie dans la zone habitable d’une étoile est très élevée, donc les exoplanètes avec vie se compteraient par milliards, rien que dans notre galaxie ! », estime Jean-Loup Bertaux, directeur de recherche émérite au CNRS au Latmos.

D’ailleurs, au départ, pour ces chercheurs, l’intérêt pour la phosphine était motivé par cette vie au-delà de notre système solaire, et par la recherche d’un biomarqueur le moins ambigu possible.

Cette belle histoire reste encore à écrire, compte tenu des incertitudes qui subsistent sur son premier chapitre. Perfides, certains spécialistes s’étonnent de voir une étude potentiellement aussi marquante être publiée dans une jeune revue d’à peine trois ans. Selon nos informations, l’article avait d’abord été refusé par un journal plus prestigieux.

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Résumé

Le 14 septembre 2020, une équipe anglo-américaine affirme avoir trouvé des traces de phosphine dans les nuages de Vénus. Ce gaz pourrait avoir des origines biologiques. Mais c'est loin d'être démontré. En 1967, l'astronome Carl Sagan faisait déjà l'hypothèse d'une vie sur Vénus. C'est en mesurant les longueurs d'onde émises par la surface de Vénus que les Anglo-Américains ont décelé de la phosphine. Un chercheur du CNRS remet cependant en cause la méthode employée. Par ailleurs, les scientifiques ne voient pas comment un organisme pourrait supporter une atmosphère aussi acide que celle de Vénus. Mais les chercheurs anglo-américains font l'hypothèse d'un cycle de l'eau fondé sur des gouttes - mélange d'eau et d'acide - qui se dessécheraient une fois au sol avant de se recondenser.
Œuvre : Le Monde, 15 septembre 2020
Auteur : David Larousserie
Parution : 2020
Siècle : XXIe

Thèmes

science, Vénus

Notions littéraires

Narration : Sans objet
Focalisation : Sans objet
Genre : Article
Dominante : Explicatif
Registre : Didactique, Informatif
Notions : valeurs du présent, connecteurs, modalisateurs, discours rapporté

Entrées des programmes

  • 4e - Agir sur le monde : informer, s’informer, déformer ? - textes et documents issus de la presse et des médias
  • 3e - Questionnement complémentaire : progrès et rêves scientifiques - texte issu de la presse et des médias
  • 2nde - La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle