Un sermon de Bossuet : le Panégyrique de saint Bernard

Dans cet extrait du "Panégyrique de saint Bernard", Bossuet offre un morceau d'éloquence dans le plus pur style périodique. Le prédicateur cherche à capter l'attention de son auditoire en le renvoyant à sa propre jeunesse par force apostrophes et questions rhétoriques, sans s'écarter de son objectif : louer la beauté du sacrifice face à la vanité des mondanités.

Panégyrique de saint Bernard, prononcé le 2 août 1653


Parmi les hommes illustres, dont l'exemple enflamme nos espérances, et confond notre lâcheté, il faut avouer que l'admirable Bernard tient un rang très considérable. Un gentilhomme, d'une race illustre, qui voit sa maison en crédit, et ses proches dans des emplois importants ; à qui sa naissance, son esprit, ses richesses promettent une belle fortune, à l'âge de vingt-deux ans renoncer au monde au point que fit saint Bernard, vous semble-t-il, chrétiens, que ce soit un effet médiocre de la toute-puissance divine ? S'il l'eût fait dans un âge plus avancé, peut-être que le dégoût, l'embarras, les ennuis et les inquiétudes qui se rencontrent dans les affaires l'auraient pu porter à ce changement. S'il eût pris cette résolution dans une jeunesse plus tendre, la victoire eût été médiocre dans un temps où à peine nous sentons, et où les passions ne sont pas encore nées. Mais Dieu a choisi saint Bernard, afin de nous faire paraître le triomphe de la croix sur les vanités, dans les circonstances les plus remarquables que nous ayons vues en aucune histoire.

Vous dirai-je en ce lieu ce que c'est qu'un jeune homme de vingt-deux ans ? Quelle ardeur, quelle impatience, quelle impétuosité de désirs ! Cette force, cette vigueur, ce sang chaud et bouillant, semblable à un vin fumeux, ne leur permet rien de rassis ni de modéré. Dans les âges suivants on commence à prendre son pli, les passions s'appliquent à quelques objets, et alors celle qui domine ralentit du moins la fureur des autres : au lieu que cette verte jeunesse n'ayant rien encore de fixe ni d'arrêté, en cela même qu'elle n'a point de passion dominante par-dessus les autres, elle est emportée, elle est agitée tour à tour de toutes les tempêtes des passions, avec une incroyable violence. Là les folles amours, là le luxe, l'ambition et le vain désir de paraître exercent leur empire sans résistance. Tout s'y fait par chaleur inconsidérée ; et comment accoutumer à la règle, à la solitude, à la discipline, cet âge qui ne se plaît que dans le mouvement et dans le désordre, qui n'est presque jamais dans une action composée ? Et pudet non esse impudentem ? Et qui n'a honte que de la modération et de la pudeur ?

Certes, quand nous nous voyons penchants sur le retour de notre âge, que nous comptons déjà une longue suite de nos ans écoulés, que nos forces diminuent, et que le passé occupant la partie la plus considérable de notre vie, nous ne tenons plus au monde que par un avenir incertain ; ah ! le présent ne nous touche plus guère. Mais la jeunesse qui ne songe pas que rien lui soit encore échappé, qui sent sa vigueur entière et présente, ne songe aussi qu'au présent, et y attache toutes ses pensées. Dites-moi, je vous prie, celui qui croit avoir le présent tellement à soi, quand est-ce qu'il s'adonnera aux pensées sérieuses de l'avenir ? Davantage quelle apparence de quitter le monde dans un âge où il ne nous y paraît rien que de plaisant ?

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Résumé

Dans l'exorde, Bossuet présente saint Bernard, jeune homme de bonne famille promis à un avenir des plus radieux. Son engagement dans la foi n'en est que plus remarquable, déclare Bossuet à travers une litote inattendue. S'il l'avait fait plus vieux, il aurait pu le faire par lassitude. Plus jeune, il n'aurait pas eu conscience du sacrifice. Le prédicateur se lance alors avec ferveur dans une description de la jeunesse et de ses émois. Il s'agit en fait d'un rapport au temps : les jeunes personnes vivent dans le présent. Il faut donc une force d'âme immense pour parvenir, à cet âge, à penser à l'avenir.
Œuvre : Oeuvres de Bossuet (Pléiade)
Auteur : Jacques Bénigne Bossuet
Parution : 1653
Siècle : XVIIe

Thèmes

jeunesse, vanité, mondanité, sacrifice, vocation, foi, christianisme, catholicisme

Notions littéraires

Narration : 3e personne
Focalisation : Sans objet
Genre : Sermon, Panégyrique
Dominante : Argumentatif
Registre : Oratoire, Épidictique, Lyrique
Mouvement : Baroque
Notions : litote, question rhétorique, argumentation directe, sermon, prose poétique, style périodique, apostrophe, éloge

Entrées des programmes

  • 1ere - La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle