Cette nuit-là, la rage de Maman a fait trembler les murs de la maison. J’ai entendu des bruits de verre qui casse, de vitres qui éclatent, d’assiettes qui se brisent au sol. Papa répétait :
— Yvonne, calme-toi. Tu réveilles tout le quartier !
— Va te faire foutre !
Les sanglots avaient transformé la voix de Maman en un torrent de boue et de gravier. Une hémorragie de mots, un vrombissement d’injures emplissait la nuit. Les bruits se déplaçaient maintenant dans la parcelle. Les hurlements de Maman sous ma fenêtre, le pare-brise de la voiture qu’elle pulvérise. Puis plus rien, et la violence à nouveau qui roule, qui roule tout autour. Je regardais le va-et-vient de leurs pas dans la lumière qui filtrait sous la porte de ma chambre. Mon auriculaire agrandissait un trou dans la moustiquaire de mon lit. Les voix se mélangeaient, se distordaient dans les graves et les aigus, rebondissaient contre le carrelage, résonnaient dans le faux plafond, je ne savais plus si c’était du français ou du kirundi, des cris ou des pleurs, si c’étaient mes parents qui se battaient ou les chiens du quartier qui hurlaient à la mort. Je m’accrochais une dernière fois à mon bonheur mais j’avais beau le serrer pour ne pas qu’il m’échappe, il était plein de cette huile de palme qui suintait dans l’usine de Rumonge, il me glissait des mains. Oui, ce fut notre dernier dimanche tous les quatre, en famille. Cette nuit-là, Maman a quitté la maison, Papa a étouffé ses sanglots et, pendant qu’Ana dormait à poings fermés, mon petit doigt déchirait le voile qui me protégeait depuis toujours des piqûres de moustique.