Pour me comprendre une complicité du lecteur sera nécessaire. Toutefois je l’avertirai dès que me fera mon lyrisme perdre pied.
Stilitano était grand et fort. Il marchait d’un pas à la fois souple et lourd, vif et lent, onduleux. Il était leste. Une grande partie de sa puissance sur moi - et sur les filles du Barrio Chino - résidait dans ce crachat que Stilitano faisait aller d’une joue dans l’autre, et qu’il étirait quelquefois comme un voile devant sa bouche. « Mais où prend-il ce crachat, me disais-je, d’où le fait-il remonter, si lourd et blanc ? Jamais les miens n’auront l’onctuosité ni la couleur du sien. Ils ne seront qu’une verrerie filée, transparente et fragile. Il est donc naturel que j’imagine ce que sera sa verge s’il l’enduit à mon intention d’une si belle matière, de cette toile d’araignée précieuse, tissu qu’en secret je nommais le voile du palais. Il portait une vieille casquette grise dont la visière était cassée. Qu’il la jette sur le plancher de notre chambre elle était soudain le cadavre d’une pauvre perdrix à l’aile rognée, mais quand il s’en coiffait, un peu sur l’oreille, le bord opposé de la visière se relevait pour découvrir la plus glorieuse des mèches blondes. Parlerai-je de ses beaux yeux si clairs, modestement baissés -de Stilitano pourtant on pouvait dire : « Son maintien est immodeste » - sur quoi se refermaient des cils et des sourcils si blonds, si lumineux et si épais qu’ils établissaient l’ombre non du soir mais l’ombre du mal. Enfin que signifierait ce qui me bouleverse quand je vois dans le port par saccades, à petits coups, se développer et monter une voile avec peine au mât d’un bateau, en hésitant d’abord, puis résolument, si ces mouvements n’étaient le signe des mouvements mêmes de mon amour vers Stilitano ? Je l’ai connu à Barcelone. Il vivait parmi les mendiants, les voleurs, les tapettes et les filles. Il était beau, mais il reste à établir si tant de beauté il la dut à ma déchéance. Mes vêtements étaient sales et pitoyables. J’avais faim et froid. Voici l’époque de ma ma vie la plus misérable.