Les copines appartenaient à un monde qui me condamnait au rôle de Janus, pile et face, face petite fille rires et pleurs, pile animal silencieux qui connaît le langage des signes, antennes qui décryptent, système perfectionné de réception aux ultrasons et chuchotements, entre les deux, mur, barrière, poubelle, je jette les regards curieux, les questions douteuses, les petites infidélités, je jette ce qui dépasse, ce qui met en danger, ce qui ne convient pas aux relations de camaraderie, ce qui sort du cadre Barbie et Nutella. Poubelle aussi les souvenirs du dimanche, les dîners à la maison, les vacances de Noël, quand je joue à chat bisous dans la cour de l'école.
J'aime gagner, mais des bisous, ça veut dire flirt, invitation à la maison, échange d'histoires, intimité. Danger. Donc pas de bisous. Donc je perds. Donc je n'intéresse pas les garçons, et pas les filles non plus. Donc je suis seule. Dans la poubelle.
Je suis une poubelle à secrets.
Que deviennent les choses quand on les garde pour soi ? Peuvent-elles continuer de vivre ?
Les faits se sont abolis à n'être pas dits, la chair du monde s'est réduit à un vague parfum. Je suis une porte fermée, sans rien derrière, pas même une cellule, seulement du vent. Je n'ose pas l'ouvrir, la garder cadenassée fait encore illusion.