Le vin de l'assassin de Baudelaire

Dans ce poème-récit en octosyllabes, Baudelaire offre une vision trangressive de l'amour comme source d'aliénation et de crime, sous la forme d'une confession paradoxale. Comment se libérer de la passion sinon en tuant l'être aimé ? La provocation constituée par le vers liminaire est adoucie par une narration interne qui favorise l'identification avec le criminel.

Ma femme est morte, je suis libre !

Je puis donc boire tout mon soûl.

Lorsque je rentrais sans un sou,

Ses cris me déchiraient la fibre.


Autant qu’un roi je suis heureux ;

L’air est pur, le ciel admirable…

Nous avions un été semblable

Lorsque j’en devins amoureux !


L’horrible soif qui me déchire

Aurait besoin pour s’assouvir

D’autant de vin qu’en peut tenir

Son tombeau ; – ce n’est pas peu dire :


Je l’ai jetée au fond d’un puits,

Et j’ai même poussé sur elle

Tous les pavés de la margelle.

– Je l’oublierai si je le puis !


Au nom des serments de tendresse,

Dont rien ne peut nous délier,

Et pour nous réconcilier

Comme au beau temps de notre ivresse,


J’implorai d’elle un rendez-vous,

Le soir, sur une route obscure.

Elle y vint ! – folle créature !

Nous sommes tous plus ou moins fous !


Elle était encore jolie,

Quoique bien fatiguée ! et moi,

Je l’aimais trop ! voilà pourquoi

Je lui dis : Sors de cette vie !


Nul ne peut me comprendre. Un seul

Parmi ces ivrognes stupides

Songea-t-il dans ses nuits morbides

À faire du vin un linceul ?


Cette crapule invulnérable

Comme les machines de fer

Jamais, ni l’été ni l’hiver,

N’a connu l’amour véritable,


Avec ses noirs enchantements,

Son cortège infernal d’alarmes,

Ses fioles de poison, ses larmes,

Ses bruits de chaîne et d’ossements !


– Me voilà libre et solitaire !

Je serai ce soir ivre mort ;

Alors, sans peur et sans remord,

Je me coucherai sur la terre,


Et je dormirai comme un chien !

Le chariot aux lourdes roues

Chargé de pierres et de boues,

Le wagon enragé peut bien


Écraser ma tête coupable

Ou me couper par le milieu,

Je m’en moque comme de Dieu,

Du Diable ou de la Sainte Table !


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Résumé

Le poème s'ouvre sur un paradoxe, qui trouve sa résolution dans les deux premières strophes : la mort de sa femme fut un soulagement pour le narrateur, car il a retrouvé la liberté. Les quatrains suivants sont consacrés au récit du meurtre : le poète entretient le suspense tout en laissant libre cours aux remords de l'assassin. Ce dernier définit ensuite l'amour comme un sentiment aliénant et destructeur, avant de se laisser aller à ses pulsions suicidaires.
Œuvre : Les Fleurs du Mal
Auteur : Charles Baudelaire
Parution : 1857
Siècle : XIXe
Place de l'extrait dans l'œuvre : Section "Le vin", entre "Révolte" et "La Mort"

Thèmes

vin, crime, blasphème, liberté, amour, mal, transgression, aliénation, ivresse, alcool, suicide, confession

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Interne
Genre : Poésie
Dominante : Narratif
Registre : Lyrique, Dramatique
Mouvement : Modernité
Notions : octosyllabes, rimes embrassées, esthétique du choc, provocation, oxymore

Entrées des programmes

  • 4e - Se chercher, se construire : dire l’amour - poèmes d’amour
  • 3e - Regarder le monde, inventer des mondes : visions poétiques du monde - poème pour faire comprendre la diversité des visions du monde correspondant à des esthétiques différentes
  • 1ere - La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle : métamorphoses esthétiques

Les figures de style et procédés d'écriture

  • paradoxe
  • métaphore
  • diérèse
  • contre-rejet interne
  • contre-rejet
  • métaphore
  • comparaison
  • oxymore
  • allégorie
  • personnification