Le moineau a dit... Je viens d’échapper à la mort, je viens d’échapper aux griffes d’un chat, je viens d’échapper à l’appétit du chat. De frayeur, mon cœur bat encore. De frayeur, mon cœur bat toujours. Je me suis envolé, après avoir échappé à l’appétit du chat, vers le sommet du baobab. Je me suis posé sur un énorme doigt du baobab. Mon cœur a mis du temps avant de s’apaiser. Maintenant, du haut du baobab, je regarde le chat auquel j’ai échappé. Il s’est éloigné du lieu où il aurait pu écrire la fin de mon histoire. Je repense à cet instant précis où, alors que je cherchais sur le sol un grain, une miette, un insecte, alors que je répondais à l’impératif de mon ventre, le chat, chasseur aux pas de velours, a fait un bond pour tenter de m’attraper, je repense à cet instant où j’ai échappé au chat en laissant deux plumes.
Perché sur le doigt du baobab, ce qui m’envahit soudain, c’est l’angoisse née de ma fragilité que le chat m’a rappelée de façon tellement brutale. Comme tant d’autres êtres dans la force de l’âge, qui marchent, fiers, toisant l’horizon, et qui, soudain, titubent, chutent, se relèvent amoindris, ou ne se relèvent pas. Je n’ai plus tant d’années à passer sur la terre, ma durée de vie est celle d’un moineau, mais l’idée qu’à tout moment un chat pourrait faire de moi son repas, une idée avec laquelle je suis né, mais qui, maintenant, m’explose à la conscience comme une vérité nouvelle, cette idée assombrira le reste de mes jours.
Je tente de confier mes angoisses au baobab. Mais, au lieu de lui parler du chat qui a été à une griffe de me tuer, je lui demande, au baobab, qui accueillera, lui, dans ses branches, plusieurs générations d’oiseaux, dont des moineaux, je lui demande : « Tu viens d’où ? » Il me répond : « De la terre. » Je dis : « Certes, il a fallu que tu passes par la terre, mais, tu es venu, peut-être, d’abord du ciel ou du cloaque d’un oiseau, car les oiseaux aussi portent des forêts. » Le baobab éclate de rire : « Pensée de moineau. » Je dis : « Oui, je ne suis qu’un moineau, mais, je le répète, les oiseaux aussi, même les tout petits comme moi et même ceux qui sont encore plus petits, portent et sèment la flore. Donc, j’en ai porté moi-même, j’ai porté et semé la flore.» Le baobab continue de rire : «Prétention d’oiseau minuscule. Toi tu aurais semé la flore, c’est-à-dire une partie de la flore?» Je dis : « Baobab, tu peux continuer de rire de moi, mais la graine d’où tu viens n’était pas plus grosse que l’œuf d’où je suis sorti, moi, sans plumes, le bec en premier.» Le baobab se fait silencieux un moment, puis il soupire. Je crois qu’il prend conscience soudain de son origine, c’est-à-dire de la graine qui, peut-être d’abord transportée dans le ventre d’un oiseau, a ensuite, sous la terre, pris vie, émergé à la surface, fait racines, plante au départ fragile et qui, durant de longues années, a grandi, grandi, grandi, pour devenir un géant. [...]