Depuis le sommet du plongeoir, je voyais Bujumbura, et la plaine immense, et les montagnes immémoriales du Zaïre de l’autre côté de la masse bleue du lac Tanganyika. J’étais nu au-dessus de ma ville et une pluie tropicale glissait sur moi en lourds rideaux, me caressait la peau. Des reflets d’arcs-en-ciel argentés flottaient dans les nuages tendres. J’entendais la voix des copains : « Vas-y, Gaby ! Allez, Gaby ! Allez ! » La peur revenait. Celle qui s’amusait à me paralyser depuis toujours. J’ai tourné le dos au bassin. Mes talons étaient maintenant dans le vide. J’ai pissé de trouille, le liquide jaune s’enroulait comme du lierre autour de ma jambe. Pour me donner du courage, j’ai poussé un grand cri de Sioux dans le raffut de cascade que faisait la drache. Alors mes jambes se sont pliées comme des ressorts et m’ont propulsé en arrière. Mon corps a fait une rotation dans les airs, le mouvement parfait, contrôlé par je ne sais quelle force mystérieuse. Après, je me suis simplement senti tomber comme un pantin ridicule. Je ne savais plus où j’étais quand l’eau m’a surpris en m’accueillant dans ses bras cotonneux, m’enveloppant comme une fièvre dans la chaleur de ses remous et de ses bulles d’air chatouilleuses. Arrivé au fond du bassin, je me suis allongé sur le carrelage, pour savourer mon exploit. Quand je suis remonté, c’était le triomphe ! Les copains se sont précipités sur moi, ils chantaient : « Gaby! Gaby! », la surface de l’eau était devenue tam-tam. Gino m’a levé le bras comme un boxeur victorieux, Francis m’a embrassé le front. Je sentais leurs corps glissants contre moi me frôler, me serrer, m’étreindre. Je l’avais fait ! Pour la deuxième fois de ma vie, j’avais vaincu cette maudite peur. Je finirais par me dépouiller de cette grotesque carapace.