Le curé et le mort

Cette fable forme un diptyque avec "La Laitière et le pot au lait". Mais, alors que l'évocation de Perrette était pleine de tendresse, le curé est décrit ici avec férocité. L'intention satirique est évidente, tout en restant discrète : c'est l'omniscience du narrateur qui dévoile peu à peu les travers du clerc.

 Un mort s'en allait tristement

            S'emparer de1 son dernier gîte ;

            Un Curé s'en allait gaiement

            Enterrer ce mort au plus vite.

Notre défunt était en carrosse porté,

            Bien et dûment empaqueté,

Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,

            Robe d'hiver, robe d'été,

            Que les morts ne dépouillent guère.

            Le Pasteur était à côté,

            Et récitait à l'ordinaire

            Maintes dévotes oraisons,

            Et des psaumes et des leçons,

            Et des versets et des répons2 :

            Monsieur le Mort, laissez-nous faire,

On vous en donnera de toutes les façons ;

            Il ne s'agit que du salaire.

Messire Jean Chouart3 couvait des yeux son mort,

Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,

            Et des regards semblait lui dire :

            Monsieur le Mort, j'aurai de vous

            Tant en argent, et tant en cire4,

            Et tant en autres menus coûts.

Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette

            Du meilleur vin des environs ;

            Certaine nièce assez propette5

            Et sa chambrière Pâquette

            Devaient voir des cotillons6.

            Sur cette agréable pensée

            Un heurt survient, adieu le char.

            Voilà Messire Jean Chouart

Qui du choc de son mort a la tête cassée :

Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;

            Notre Curé suit son Seigneur ;

            Tous deux s'en vont de compagnie.

            Proprement toute notre vie ;

Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,

            Et la fable du Pot au lait.


1regagner

2phrases prononcées par l'assistance, en réponse

3Nom lubrique emprunté à Rabelais :"Tenez (montrant sa longue braguette), voici maître Jean Chouart qui demande logis. » (Pantagruel – chap. XXI)

4les cierges

5variante de "proprette"

6recevoir des jupons

Œuvre : Fables (VII, 10)
Auteur : Jean de La Fontaine
Parution : 1678
Siècle : XVIIe

Thèmes

matérialisme, cupidité, mort, clergé

Notions littéraires

Narration : 3e personne
Focalisation : Omnisciente
Genre : Apologue, Fable
Dominante : Narratif
Registre : Satirique, Comique, Ironique
Mouvement : Classicisme
Notions : vers hétérométrique

Entrées des programmes

  • 6e - Résister au plus fort : ruses, mensonges et masques - fables et fabliaux, farces ou soties développant des intrigues fondées sur la ruse et les rapports de pouvoir
  • 3e - Vivre en société, participer à la société : dénoncer les travers de la société
  • 2nde - La poésie du Moyen-Age au XVIIIe siècle

Les figures de style et procédés d'écriture

  • Inversion ironique dans l'ordre d'apparition
  • écho de "Monsieur le mort"
  • Comique sur le mot "Seigneur"
  • chiasme
  • omniscience
  • aspect mécanique
  • interprétation du narrateur
  • jeu avec "choir"
  • ironique
  • présent de narration

Approfondir les notions littéraires présentes dans ce texte

Le registre ironique

Un texte est ironique lorsque l’auteur dit le contraire de ce qu’il veut faire entendre au lecteur. Lisez notre article sur l'ironie.

Le registre satirique

Un texte satirique est un texte dont le but premier est de prendre pour cible un individu, un groupe, des valeurs ou des thèmes à première vue respectables, et de les rabaisser en en dévoilant les travers. Lisez notre article sur le registre satirique.

Textes et œuvres en prolongement

La Fontaine, "La Laitière et le pot au lait"