La laitière et le pot au lait

"La Laitière", éloge de la rêverie, forme un diptyque avec "Le Curé et la mort", où la cruauté des espoirs est évoquée de façon satirique. Ici, La Fontaine met en place une véritable esthétique de la gaieté. La pimpante Perrette, incarnation de la vie rustique, se heurte à la dureté du réel, mais le texte est teinté d'une douce ironie qui, dans la deuxième partie, prend des airs de méditation lyrique.

Perrette, sur sa tête ayant un Pot au lait

           Bien posé sur un coussinet,

Prétendait1 arriver sans encombre à la ville.

Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;

Ayant mis ce jour-là pour être plus agile

           Cotillon2 simple, et souliers plats.

           Notre Laitière ainsi troussée

           Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait, en employait l’argent,

Achetait un cent d’œufs, faisait triple couvée ;

La chose allait à bien par son soin diligent3.

           Il m’est, disait-elle, facile

D’élever des poulets autour de ma maison : 

           Le Renard sera bien habile,

S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.

Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;

Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable ;

J’aurai le revendant de l’argent bel et bon ;

Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,

Vu le prix dont il4 est, une vache et son veau,

Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?

Perrette là-dessus saute aussi, transportée.

Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;

La Dame de ces biens, quittant d’un oeil marri 

           Sa fortune ainsi répandue,

           Va s’excuser à son mari

           En grand danger d’être battue.

           Le récit en farce5 en fut fait ;

           On l' appela le Pot au lait.


           Quel esprit ne bat la campagne ?

           Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Picrochole, Pyrrhus6, la Laitière, enfin tous,

           Autant les sages que les fous ?

Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :

Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :

           Tout le bien du monde est à nous,

           Tous les honneurs, toutes les femmes.

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;

Je m écarte7, je vais détrôner le Sophi8;

           On m’élit Roi, mon peuple m’aime ;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;

           Je suis gros Jean9 comme devant.


1prévoyait

2jupon de paysanne

3rapide

4qu'il représente

5fut transformé en farce (comique grossier)

6personnages légendaires caractérisés par leur ambition

7je pars loin

8roi de la Perse

9niais

Œuvre : Fables (VII, 9)
Auteur : Jean de La Fontaine
Parution : 1678
Siècle : XVIIe

Thèmes

imagination, rusticité, espoir

Notions littéraires

Narration : 3e personne
Focalisation : Sans objet
Genre : Apologue, Fable
Dominante : Narratif
Registre : Ironique, Lyrique, Comique
Mouvement : Classicisme
Notions : vers hétérométrique

Entrées des programmes

  • 6e - Récits de création, création poétique - poèmes témoignant du pouvoir créateur de la parole poétique
  • 5e - Regarder le monde, inventer des mondes : imaginer des univers nouveaux. -> Poèmes ou récit proposant une reconfiguration poétique de la réalité
  • 2nde - La poésie du Moyen-Age au XVIIIe siècle

Les figures de style et procédés d'écriture

  • rime interne
  • monosyllabes
  • ironie
  • rythme binaire
  • discours direct
  • monosyllabes
  • ironie
  • registre farcesque
  • mélange concret/abstrait
  • rapprochement comique

Approfondir les notions littéraires présentes dans ce texte

Le registre ironique

Un texte est ironique lorsque l’auteur dit le contraire de ce qu’il veut faire entendre au lecteur. Lisez notre article sur l'ironie.

Textes et œuvres en prolongement

La Fontaine, "Le Curé et le mort"