Professeure de français dans l'enseignement public depuis les années 70, Nathalie Quintane raconte l'apparition de l'épreuve orale d'"histoire des arts" dans les années 2000.
C'est là que le patron a rectifié :
c'est pas Histoire de l'Art
c'est histoire des arts, ça veut dire que ça peut aussi
bien être la tour Eiffel que la Joconde qu'un clip de
Grand Corps Malade ou une affiche Moulinex.
Ouf.
Du coup, pendant sept ans, on a préparé surtout
à la tour Eiffel, à la Joconde, et aussi aux affiches de
Norman Rockwell, surtout celle de la petite fille noire
parce que ça permettait de parler de la
ségrégation raciale aux Etats-Unis qui était
au programme de 3e. Vers la fin, j'ai remarqué
qu'il y avait de plus en plus de peintres pompiers
genre les gladiateurs de Jean-Léon Gérôme.
Des peintures vraiment bien peintes.
Ca devait pas être facile d'expliquer aux élèves
que ces peintures tellement bien peintes
en fait c'était de la merde.
Ils arrivaient tout tremblants tenant leur petite
fiche toute tremblante devant nous, le jury, vu qu'
on les avait en cours ou qu'on les avait eus
les nuls aussi on les connaissait
alors la prof qui les avait glissait en douce
qu'il allait falloir être gentil parce que celui-là
il avait vraiment du mal.
Bon, mais cette histoire, ça n'a pas duré
je ne sais plus qui
au ministère un beau jour a fait péter ça qui venait
de son prédécesseur (en fait on racontait que
ça venait de Carla
la femme d'un président, Sarkozy, cette idée
de l'histoire des arts au collège). L'oral est resté
mais s'est vachement élargi et du coup, exit
la tour Eiffel, la Joconde et Jean-Léon Gérôme.
On a eu des exposés hyper-détaillés sur l'arrière-
grand oncle de l'élève qui avait été plus ou moins
résistant dans le coin
et une flopée de parcours-Avenir.
Le parcours-Avenir, ça consistait dès le primaire
à inculquer à l'élève, inculquer c'est le mot juste
ad hoc
inculquer donc à l'élève qu'il devait sérieusement
se préoccuper de son avenir c'est-à-dire de son
orientation, se renseigner sur les métiers et se
[préparer
à faire quantité de stages parce que les glandeurs
qui se contentaient des allocs comme leurs
parents, c'était bel et bien fini. Dès le CM1
ils faisaient des fiches sur les métiers, rencontraient
des soudeurs et des entrepreneurs
tapaient à l'ordinateur des lettres de motivation et
en 3e ils présentaient à l'oral
devant le jury de leurs profs leur parcours-Avenir. En
réalité, c'était les futurs-pros qui présentaient
le parcours-Avenir : la plupart du temps
c'était ceux qui iraient l'an prochain en lycée pro.
Les autres parlaient de leur grand-oncle résistant
ou d'une sculpture à facettes de Xavier Veilhan.