Gens du Diallobé, dit-elle au milieu d’un grand silence, je vous salue.
Une rumeur diffuse et puissante lui répondit. Elle poursuivit.
— J’ai fait une chose qui ne nous plaît pas, et qui n’est pas dans nos coutumes. J’ai demandé aux femmes de venir aujourd’hui à cette rencontre. Nous autres Diallobé, nous détestons cela, et à juste titre, car nous pensons que la femme doit rester au foyer. Mais de plus en plus, nous aurons à faire des choses que nous détestons, et qui ne sont pas dans nos coutumes. C’est pour vous exhorter à faire une de ces choses que j’ai demandé de vous rencontrer aujourd’hui.
« Je viens vous dire ceci : moi, Grande Royale, je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste. Mon avis est qu’il faut y envoyer nos enfants cependant. »
Il y eut un murmure. La Grande Royale attendit qu’il eût expiré, et calmement poursuivit.
— Je dois vous dire ceci : ni mon frère, votre chef, ni le maître des Diallobé n’ont encore pris parti. Ils cherchent la vérité. Ils ont raison. Quant à moi, je suis comme ton bébé, Coumba (elle désignait l’enfant à l’attention générale). Regardez-le. Il apprend à marcher. Il ne sait pas où il va. Il sent seulement qu’il faut qu’il lève un pied et le mette devant, puis qu’il lève l’autre et le mette devant le premier.
La Grande Royale se tourna vers un autre point de l’assistance.
— Hier, Ardo Diallobé, vous me disiez : « La parole se suspend, mais la vie, elle, ne se suspend pas. » C’est très vrai. Voyez le bébé de Coumba.
L’assistance demeurait immobile, comme pétrifiée. La Grande Royale seule bougeait. Elle était, au centre de l’assistance, comme la graine dans la gousse.
— L’école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de l’école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. Ce que je propose c’est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre.
Elle se tut encore, bien qu’aucun murmure ne l’eût interrompue. Samba Diallo perçut qu’on reniflait près de lui. Il leva la tête et vit deux grosses larmes couler le long du rude visage du maître des forgerons.
— Mais, gens des Diallobé, souvenez-vous de nos champs quand approche la saison des pluies.
Nous aimons bien nos champs, mais que faisons-nous alors ? Nous y mettons le fer et le feu, nous les tuons. De même, souvenez-vous : que faisons-nous de nos réserves de graines quand il a plu ? Nous voudrions bien les manger, mais nous les enfouissons en terre.
« La tornade qui annonce le grand hivernage de notre peuple est arrivée avec les étrangers, gens des Diallobé. Mon avis à moi, Grande Royale, c’est que nos meilleures graines et nos champs les plus chers, ce sont nos enfants. Quelqu’un veut-il parler ?
Nul ne répondit.
— Alors, la paix soit avec vous, gens des Diallobé, conclut la Grande Royale.