Sans plus se soucier de moi, il posa sa lampe à terre et fit un pas de côté pour se pencher au-dessus du baquet. Et tandis qu’il scrutait la surface de l’eau pour essayer de comprendre ce qui l’agitait, je vis une ombre immense se détacher lentement des hauteurs de la case, juste au-dessus de sa tête.
J’étais pétrifié. J’aurais voulu crier pour avertir Baba Seck du danger qui se glissait vers lui, mais aucun son ne parvenait à franchir ma gorge. La mort approchait et il ne s’en doutait pas. C’était un énorme animal qui semblait flotter dans l’air de la case. J’entraperçus sa tête triangulaire, presque aussi grosse que celle de Baba Seck, dardant vers elle par à-coups réguliers une fine langue noire et bifide, comme si de sa large gueule ferme tentait de s’échapper un petit serpent à deux têtes, avalé aussitôt qu’il en sortait. Noire de jais, striée de jaune pâle, la peau du boa luisait à la lumière orangée de la lampe posée au sol par Baba Seck.
L’oncle de Maram, inconscient du danger qui le surplombait, avait toujours la tête penchée au-dessus du baquet d’eau de mer dont je compris en un éclair la véritable fonction, qui n’était pas seulement d’éclairer la case la nuit d’une lumière translucide mais de servir de garde-manger au boa. Maram le nourrissait ainsi de poissons, offrant à son instinct de chasseur le plaisir de les attraper en plongeant sa tête dans l’eau, le reste de son grand corps accroché à quelques poutres de la face interne du toit de la case. Mais là, ce n’était pas un poisson que Maram sacrifiait à son boa, c’était un homme qui, ignorant la menace planant au-dessus de lui, s’interrogeait sur l’utilité de ce baquet, comme cela avait été mon cas à plusieurs reprises cette nuit-là.
La tête du boa se rapprochait lentement de la sienne et, par cet instinct partagé par tous les êtres vivants quand ils sont la proie d’un danger mortel - et dont ils ont l’intuition sans le voir encore -, Baba Seck me jeta un coup d’œil. Je ne sais si la lumière de la lampe posée au sol était assez forte pour qu’il puisse apercevoir l’épouvante qui déformait mes traits ou s’il fut surpris par la direction prise par mon regard, mais il leva enfin les yeux. Et juste à l’instant où il la dévisagea, la mort tomba sur lui, l’enroulant dans ses anneaux.
Peut-être alors Baba Seck crut-il avoir le temps de tirer un coup de fusil sur le boa. Mais, tandis qu’il était renversé au sol par la bête qui s’écroulait sur lui de tout son poids, la balle qui partit de son fusil n’ atteignit pas sa cible. Elle frôla ma tête avant d’éclater sur la paroi de la case, juste derrière moi. Dans sa chute sur l’homme, le serpent avait renversé la lampe qui s’était éteinte. Et dans la faible lueur phosphorescente provenant du baquet d’eau de mer je crus voir les torsions d’une énorme vague sombre onduler longuement sur le sol. Avant de m’évanouir, j’entendis les os de Baba Seck se rompre les uns après les autres, comme les brindilles d’un petit fagot de bois sec. Cris, râles et borborygmes.