Erotique du bowling - Le système Victoria d'Eric Reinhardt

Dans cette scène de première vue tout en focalisation interne, Eric Reinhardt décrit avec sensualité les mouvements d'une joueuse de bowling, qui fascinent le narrateur. Les envolées lyriques voire épiques retombent douloureusement lorsque le réel ressurgit sous la forme d'un Blackberry saturé de messages.

David suit une inconnue dont la beauté l'a subjugué dans la rue. Il lui emboîte le pas lorsqu'elle pénètre dans un bowling.


Les joueurs qui m'entouraient lançaient leurs boules comme autant d'illustrations d'une humeur ou d'un état d'esprit particulier, grâce, peur, plaisir, orgueil, humour ou nonchalance (notamment, sur la piste voisine de la mienne, une jeune fille avec des gestes si peu adroits qu'ils en étaient maniérés, presque artistiques : cette singularité était très séduisante), et je me demandais quelle allégorie mon inconnue allait bien pouvoir incarner. C'est alors qu'elle s'est mise à jouer - avec une aisance étonnante. Aucune de ses boules n'avait l'air de rouler, je les voyais se déplacer dans un silence et comme une immobilité de phénomène méditatif, et c'est seulement leur impact sur les quilles, un impact d'une violence imparable, qui procurait le sentiment qu'il n'était pas possible d'aller plus droit, ni d'avancer plus vite, ni d'être aussi dévastateur : c'est au moment où la boule disloquait sa cible, et non pendant le temps où elle revêtait l'apparence d'un mystérieux sous-entendu, que se révélait la violence qui animait cette femme au moment où la sphère noire quittait sa main. C'était absolument incroyable : je caressais du bout des doigts la fraîcheur d'une balustrade métallique en admirant ce qui s'imposait comme les allégories simultanées de l'orgasme, du coup de foudre, du déchaînement passionnel et de la domination.

Elle est revenue vers le siège où elle avait posé ses affaires. Je la voyais presque de face, son visage avait rougi, son regard dur perçait le sol, elle s'essuyait les mains avec une serviette en papier. Je sentais que la violence l'avait lavée de la colère qui l'habitait ; elle s'était faite déflagration, lumière, vengeance et ironie.

Mais qu'est-ce qu'elle faisait là, une femme comme elle, habillée comme une avocate, dans un bowling, au milieu d'adolescents qui s'amusaient ?

J'ai osé regarder l'heure à ma montre : il était vingt et une heures trente. J'ai consulté mon BlackBerry : j'y ai trouvé vingt-six appels en absence, dix-huit messages vocaux et près de soixante mails. J'ai été étonné que ma femme ne m'ait laissé que deux messages, le premier peu après mon départ du chantier et le second au moment où nous étions censés nous mettre à table.

Juste une petite question avant de vous laisser lire le texte 😇

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Résumé

Alors qu'il observe les joueurs d'un club de bowling, le narrateur est fasciné par une inconnue (qu'il a suivie depuis la rue), dont il cherche à savoir quelle allégorie elle pourrait "incarner". Elle frappe alors les boules avec une telle intensité que les images se superposent. Lorsqu'elle se rassoit, elle semble s'être délivrée de sa colère. Le narrateur, lui, revient à sa réalité d'homme marié.
Œuvre : Le système Victoria
Auteur : Eric Reinhardt
Parution : 2011
Siècle : XXIe

Thèmes

bowling, adultère, amour, sport, sensations, fascination

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Interne
Genre : Roman
Dominante : Narratif
Registre : Lyrique, Épique
Mouvement : Littérature contemporaine
Notions : métaphore, énumération, prose poétique, scène de première vue

Entrées des programmes

  • 2nde - Le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle
  • 1ere - Le roman et le récit du Moyen-Age au XXIe siècle