La narratrice, dont la transformation en truie est presque achevée, rencontre un grand patron, Yvan. Très vite, elle découvre son secret.
J’ai entendu comme un cri du côté du banc. Yvan était tout debout, il dressait son visage vers la Lune et il lui montrait le poing. Ça m’a fait un choc. Et puis Yvan s’est effondré à quatre pattes. Son dos s’est arqué. Ses vêtements ont craqué tout du long et de longs poils gris se sont hérissés à travers la déchirure, son corps s’est élargi et ça a craqué aussi aux épaules et aux manches. Le visage d’Yvan était tout déformé, long et anguleux, ça brillait de bave et de dents et ses cheveux avaient poussé jusqu’à recouvrir entièrement ses épaules, drus. La Lune était dans les yeux d’Yvan, comme un éclat blanc et froid sous ses paupières. On sentait qu’il souffrait, Yvan, on entendait son souffle. Ses mains étaient recroquevillées par terre ; comme rognées, enfouies, agrippées dans le sol, pleines de noeuds et de griffes. Les mains d’Yvan, c’était comme si elles ne pouvaient pas quitter le sol et qu’en même temps elles voulaient le lui faire payer, au sol, qu’elles l’étripaient. Yvan a donné un violent coup d’épaule et tout son arrière-train a bougé comme un arbre arraché. Ses chaussures ont explosé, ses mains ont déchiré la terre et la terre a volé de partout. Yvan s’est déplacé d’un bloc. Il avançait, c’était énorme, ça se tordait vers la Lune. Quelque chose a hurlé dans son corps, ça lui est monté du ventre comme quand moi je sens la mort. La lune a pâli. Toutes les ruines autour de nous se sont pour ainsi dire immobilisées et l’eau s’est arrêtée de couler. Yvan a hurlé de nouveau. Mon sang s’est figé dans mes veines, j’étais incapable de bouger. Je n’avais même plus peur, tous mes muscles et mon cœur semblaient morts. J'entendais le monde s’arrêter de vivre sous le hurlement d’Yvan, c’était comme si toute l’histoire du monde se nouait dans ce hurlement, je ne sais pas comment dire, tout ce qui nous est arrivé depuis toujours. Quelqu’un s’est approché. Yvan, ça n’a pas fait un pli, il a bondi. Le quelqu’un, il ne croyait pas à ce qu’il avait entendu, on sentait dans l’air qu’il était tout excité. Ensuite on n’a plus rien senti du tout. Une onde de terreur et puis c’est tout. Pas même un cri. Yvan dansait autour du cadavre. C’était étonnant de voir Yvan si léger, si voltigeur sous la Lune, il donnait vers le ciel de petits coups de sa queue argentée et ça faisait un joli feu de joie. Toute cette masse cassée de son corps et la douleur de ses premiers déplacements, ça avait disparu sous sa fourrure de lune et sous ses coups de crocs très précis, sous ses bonds, sous ses entrechats sauvages, sous ses grands sourires blancs. Je suis tombée raide dingue amoureuse d’Yvan.