Déclaration d'amour - Lettre à Mariah Gerhard, future Mme Mallarmé

Dans cette lettre à sa future femme, Mallarmé ne lésine pas sur les hyperboles pour exprimer un amour débordant. Il laisse libre cours à son lyrisme, et interpelle sa dulcinée à l'aide d'impératifs et autres questions rhétoriques.

(Sens, samedi 28 juin 1862)


Mademoiselle,


La dame allemande, c'est moi, comme vous le pensez, et j'ai seul écrit cette lettre.

Pardonnez-moi ce tour : hier et avant-hier, sans le savoir et involontairement, vous m'en avez joué qui sont assez jolis.

Avant-hier, je vous croyais Anglaise, et j'avais écrit, dans le meilleur anglais que je susse la plus belle lettre qu'on pût rêver : j'ai reconnu mon erreur en vous quittant et j'ai été forcé de tout déchirer.

Voici pour le premier.

Pour le second, il est drôle encore. Sachant que vous deviez revenir hier dans l'île, je m'y suis promené prudemment une heure ou deux, et, pour ne point éveiller l'attention, j'ai dessiné sur un album le clocher de l'Eglise, regardant plus souvent du côté où je comptais vous voir que du côté du clocher - moi qui de ma vie n'avais touché à un crayon !

Mais c'est assez sourire.

Vous avez dû voir, à mes fréquentes stations à la porte du Lycée et à la manière dont je vous contemplais Dimanche à la Cathédrale que vous n'étiez pas sans avoir fait sur moi une impression sérieuse.

Si vous aviez compris cela, c'est quelque chose déjà, mais ce n'est rien auprès de la vérité.

Voici trois mois que je vous aime violemment, et plusieurs jours que je vous idolâtre plus éperdument encore.

Accueillerez-vous cet amour ?

Soyez assez charmante pour me répondre avant de brûler cette lettre : — si vous consentez à me laisser vous aimer, je serai ivre de joie : si vous refusez, je serai heureux de souffrir encore pour vous et par vous.

Vous voyez qu'il me faut une réponse, et vous me la donnerez, n'est-ce pas ? demain ? Car je préfère même la tristesse d'un refus à ma vieille espérance qui, à force de se prolonger indéfiniment, est bien voisine du désespoir. Du reste, que vous m'aimiez ou non, vous ne saurez m'empêcher de vous aimer dans mon coeur, et mélancoliquement.

Adieu, ange ; croyez-moi : soyez certaine que tout ce que vous venez de lire est écrit par un homme d'honneur et de coeur, et pardonnez-moi de vous adorer.

Du reste, qui est coupable, mon amour ? C'est vous, ô charmante : et ce sont ces yeux sur lesquels je dépose d'avance un baiser plein d'espoir, — ces yeux qui me souriront demain, n'est-ce pas ?

A vous, à jamais.

SM

Si vous ne pouvez pas me remettre à quatre heures ces quelques mots qui seront ma sentence, mettez-les ce soir à la poste, avec cette adresse : "Monsieur S.M., à poste restante, Sens." Je prendrai la lettre demain. Je vous verrai demain à la procession St Pierre et à celle du faubourg d'Yvonne.


Juste une petite question avant de vous laisser lire le texte 😇

Afin de proposer un contenu adapté, nous avons besoin de mieux vous connaitre.

Résumé

Mallarmé commence par évoquer avec humour le quiproquo dont il a été victime : en effet, il a cru, à tort, que Mariah était anglaise alors qu'elle est allemande. Il avoue ensuite avoir fait semblant de dessiner pour pouvoir la guetter près de l'église. La lettre change ensuite de ton pour devenir purement lyrique : Mallarmé déclare sans fards son amour à la jeune fille, et lui demande explicitement de répondre à sa déclaration.
Œuvre : Correspondance
Auteur : Stéphane Mallarmé
Parution : 1862
Siècle : XIXe

Thèmes

amour, déclaration

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Sans objet
Dominante : Argumentatif
Registre : Lyrique, Humoristique
Mouvement : Symbolisme
Notions : valeurs du présent, hyperbole, parallélisme, impératif

Entrées des programmes

  • 4e - Se chercher, se construire : dire l’amour - poèmes d’amour