Chant royal

Le chant royal, remisé par du Bellay au rang des "vieilles épiceries", adopte les mêmes contraintes que la ballade mais réclame cinq strophes et un envoi d'une demi-strophe, offrant aux poètes d'infinies possibilités d'embrassements et d'enchâssements. De plus, il s'en distingue par la gravité de son sujet. Il était présenté lors de concours de poésie. Ici, chaque strophe propose une leçon de catéchisme sur les Evangiles, et l'auteur joue sur le mystère. Par une acrobatie caractéristique des Grands Rhétoriqueurs, il passe sans crier gare d'une métaphore à l'autre. Le refrain semble jouer un rôle programmatique, permettant de passer de la Genèse à une croyance à partager.

Pour réparer angélique ruine,

Dont Lucifer, plein de fière bruine1,

Et ses consorts tombèrent difformés

Au puits d'enfer, la volonté divine

L'homme créa à sa semblance digne,

Comme de ce sommes bien informés.

Mais par l'excès2 que fit le premier homme,

Mangeant du fruit défendu de la pomme,

Dieu ordonna des cieux faire clôture

Jusques à ce qu'humain genre eût appris

Le cours d'un livre, appelé par droiture3

Livre de vie où tous biens sont compris.


Depuis l'offense, était des cieux indigne

Lignage humain, et n'eut accès condigne,

Car cinq mil ans et plus furent fermés

Par faux blason4 de langue serpentine

Les pères saints ; sous obscure courtine5

Furent longtemps ès limbes comprimés,

Tant que bonté de Dieu, qui tout consomme6,

Pour décharger la très pesante somme7

Et racheter toute humaine nature,

Nous envoya, afin de mettre prix

Et sûr paiement à cette forfaiture,

Livre de vie où tous bien sont compris.


Ce livre-ci est de sainte doctrine,

Fait du docteur qui par grâce endoctrine

Entendements d'ignorance opprimés ;

Son chant excède en douceur tout autre hymne,

Et vaut trop mieux l'avoir en sa poitrine

Que tout le sens des livres imprimés.

Ce livre fut préordonné qu'on nomme

Digne habitacle où le fils de Dieu comme

Sapience divine eut couverture.

Pour être là écrit, ce lieu a pris :

Dont puis nommer la Vierge6 nette et pure

Livre de vie où tous biens sont compris.


Ce livre ainsi couvert de blanc désigne

Humilité, innocence et saisine7

D'honnêteté sur livres exprimés.

Tient nation étrangère ou voisine

Qu'en lui ait eu tache, macule ou signe

De vice aucun ? Jamais ne l'estimez :

Plus clair luisant que soleil le dénomme,

Plus que la lune en beauté le renomme.

Sept signacles dont est sa garniture

Du Saint Esprit le démontrent épris.

Marie est donc selon Sainte Ecriture

Livre de vie où tous biens sont compris.


Possible n'est que langue d'homme assigne ,

Que bouche dise et plume à droit consigne

Louange où soient ses grands biens résumés ;

Cité de Dieu, dit-on que ta racine

A eu besoin de purge et médecine ?

Faux envieux, en ce trop présumez :

Onc n'approcha la sainteté de Rome

Sa grand vertu, si sur telle erreur on me

Veut impugner8qu'en première facture

L'originel vice9enchut. C'est mépris10:

Préservé fut de souillure et fracture

Livre de vie où tous biens sont compris.


Envoi


Prince, raison veut que çà et là somme11

Etudiants, ains que12 mort les assomme ,

A cueillir fruit de divine lecture

Au saint concept du virginale pourpris ;

Et lors auront pour douce nourriture

Livre de vie où tous biens sont compris.






1Esprit de querelle

2Transgression

3A juste titre

4Discours trompeur

5Couverture

6Par suite de quoi je peux nommer

7Possession

8On me veut attaquer

9Le péché originel

10Méprise, erreur

11J'incite

12Avant que





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Résumé

Dans la première strophe, Guillaume Crétin évoque l'Ancien Testament, et plus précisément le péché originel. Puis il aborde les temps païens et la fin des temps de l'Ancien Testament, avec l'annonce de temps meilleurs. La strophe centrale se présente sous la forme d'une énigme dont les périphrases désignent les Evangiles. La quatrième se penche sur l'Esprit saint et l'Apocalypse, quand la dernière pose le problème théologique de l'écriture des Evangiles. L'envoi propose un résumé de tout ce qui a précédé.
Œuvre : Anthologie de la poésie française du XVIe siècle, Poésie Gallimard
Auteur : Guillaume Crétin
Parution : 1511
Siècle : XVIe
Place de l'extrait dans l'œuvre : Poème présenté au puy de Rouen

Thèmes

liturgie, Evangiles, Esprit Saint, Genèse, Bible

Notions littéraires

Narration : Sans objet
Focalisation : Sans objet
Genre : Poésie
Registre : Solennel, Didactique
Notions : périphrase, métaphore, refrain

Entrées des programmes

  • 2nde - La poésie du Moyen-Age au XVIIIe siècle