Au revoir, là haut - La fin des illusions

Dans cet extrait, Pierre Lemaître ne se départit pas de son ironie pour décrire l'horreur des tranchées, et se moquer du sentimentalisme du soldat Albert Maillard, sorte de Bardamu sorti d'une caisse de banque.

Lorsqu'il s'est engagé, quand il essayait d'imaginer la guerre, comme beaucoup, il pensait secrètement qu'en cas de difficulté il n'aurait qu'à faire le mort. [...] Pour un caissier de banque, Albert a un esprit assez romanesque. Sans doute les fantasmes de Mme Maillard l'ont-ils influencé. Au début du conflit, cette vision sentimentale, il la partageait avec bien d'autres. Il voyait des troupes sanglées dans de beaux uniformes rouge et bleu avancer en rangs serrés vers une armée adverse saisie de panique. Les soldats pointaient devant eux leurs baïonnettes étincelantes tandis que les fumées éparses de quelques obus confirmaient la déroute de l'ennemi. Au fond, Albert s'est engagé dans une guerre stendhalienne et il s'est retrouvé dans une tuerie prosaïque et barbare qui a provoqué mille morts par jour pendant cinquante mois. Pour en avoir une idée, il suffirait de s'élever un peu, de regarder le décor autour de son trou : un sol dont la végétation a totalement disparu, criblé de milliers de trous d'obus, parsemé de centaines de corps en décomposition dont l'odeur pestilentielle vous monte au coeur toute la journée. A la première accalmie, des rats gros comme des lièvres cavalent avec sauvagerie d'un cadavre à l'autre pour disputer aux mouches les restes que les vers ont déjà entamés. Il sait tout ça, Albert, parce qu'il a été brancardier dans l'Aisne et que, lorsqu'il ne trouvait plus de blessés gémissants ou hurlants, il ramassait toutes sortes de corps, à tous les stades de la putréfaction. Il en connaît un rayon, dans ce domaine. C'était un travail ingrat pour lui qui a toujours eu le coeur pointu.

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Résumé

Le texte s'ouvre sur la vision romantique qu'Albert se faisait de la guerre avant de s'engager. Sa guerre idéale est décrite avec force parallélismes. L'évocation de Stendhal sert de transition vers la description réelle et prosaïque des tranchées de 1914, des cadavres en passant par les rats. On sent l'ironie du narrateur poindre à la fin de l'extrait, comme dans le reste du livre.
Œuvre : Au revoir, là-haut
Auteur : Pierre Lemaître
Parution : 2013
Siècle : XXIe

Thèmes

idéalisme, illusions, patriotisme, guerre, héroïsme

Notions littéraires

Narration : 3e personne
Focalisation : Omnisciente
Genre : Roman, Récit de guerre
Dominante : Narratif
Registre : Épique, Ironique
Mouvement : Littérature contemporaine
Notions : focalisation omnisciente, narrateur omniscient, ironie, hyperbole, parallélisme

Entrées des programmes

  • 3e - Agir sur le monde : agir dans la cité : individu et pouvoir - œuvre portant un regard sur l’histoire du XXe siècle
  • 2nde - Le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle
  • 1ere - Le roman et le récit du Moyen-Age au XXIe siècle

Approfondir les notions littéraires présentes dans ce texte

Le registre ironique

Un texte est ironique lorsque l’auteur dit le contraire de ce qu’il veut faire entendre au lecteur. Lisez notre article sur l'ironie.

Textes et œuvres en prolongement

Candide, chapitre 3 ; Céline, Voyage au bout de la nuit ; Au-revoir, là haut : Prédictions