Atala de Chateaubriand - La déclaration

Dans cette scène de déclaration, Chateaubriand s'autorise un lyrisme débridé, qui passe autant par la narration que par le dialogue. Ce n'est cependant pas sans délicatesse qu'il évoque le premier baiser des deux héros, à travers une comparaison animale.

 Étrange contradiction du cœur de l’homme ! Moi qui avais tant désiré de dire les choses du mystère à celle que j’aimais déjà comme le soleil, maintenant interdit et confus, je crois que j’eusse préféré d’être jeté aux crocodiles de la fontaine, à me trouver seul ainsi avec Atala. La fille du désert était aussi troublée que son prisonnier ; nous gardions un profond silence ; les Génies de l’amour avaient dérobé nos paroles. Enfin, Atala, faisant un effort, dit ceci : Guerrier, vous êtes retenu bien faiblement ; vous pouvez aisément vous échapper. À ces mots, la hardiesse revint sur ma langue, je répondis : Faiblement retenu, ô femme… ! Je ne sus comment achever. Atala hésita quelques moments ; puis elle dit : Sauvez-vous. Et elle me détacha du tronc de l’arbre. Je saisis la corde ; je la remis dans la main de la fille étrangère, en forçant ses beaux doigts à se fermer sur ma chaîne. Reprenez-la ! reprenez-la ! m’écriai-je. Vous êtes un insensé, dit Atala d’une voix émue. Malheureux ! ne sais-tu pas que tu seras brûlé ? Que prétends-tu ? Songes-tu bien que je suis la fille d’un redoutable Sachem ? Il fut un temps, répliquai-je avec des larmes, que j’étais aussi porté dans une peau de castor, aux épaules d’une mère. Mon père avait aussi une belle hutte, et ses chevreuils buvaient les eaux de mille torrents ; mais j’erre maintenant sans patrie. Quand je ne serai plus, aucun ami ne mettra un peu d’herbe sur mon corps, pour le garantir des mouches. Le corps d’un étranger malheureux n’intéresse personne.

Ces mots attendrirent Atala. Ses larmes tombèrent dans la fontaine. Ah ! repris-je avec vivacité, si votre cœur parlait comme le mien ! Le désert n’est-il pas libre ? Les forêts n’ont-elles point de replis où nous cacher ? Faut-il donc, pour être heureux, tant de choses aux enfants des cabanes ! Ô fille plus belle que le premier songe de l’époux ! Ô ma bien-aimée ! ose suivre mes pas. Telles furent mes paroles. Atala me répondit d’une voix tendre : Mon jeune ami, vous avez appris le langage des blancs, il est aisé de tromper une Indienne. Quoi ! m’écrirai-je, vous m’appelez votre jeune ami ! Ah ! si un pauvre esclave… Eh bien ! dit-elle, en se penchant sur moi, un pauvre esclave… Je repris avec ardeur : Qu’un baiser l’assure de ta foi ! Atala écouta ma prière. Comme un faon semble pendre aux fleurs de lianes roses, qu’il saisit de sa langue délicate dans l’escarpement de la montagne, ainsi je restai suspendu aux lèvres de ma bien-aimée.

« Hélas, mon cher fils, la douleur touche de près au plaisir. Qui eût pu croire que le moment où Atala me donnait le premier gage de son amour serait celui-là même où elle détruirait mes espérances ? Cheveux blanchis du vieux Chactas, quel fut votre étonnement, lorsque la fille du Sachem prononça ces paroles : « Beau prisonnier, j'ai follement cédé à ton désir ; mais où nous conduira cette passion ? Ma religion me sépare de toi pour toujours… O ma mère ! qu'as-tu fait ?… » Atala se tut tout à coup, et retint je ne sus quel fatal secret près d'échapper à ses lèvres. Ses paroles me plongèrent dans le désespoir. « Eh bien ! m'écriai-je, je serai aussi cruel que vous : je ne fuirai point. Vous me verrez dans le cadre de feu ; vous entendrez les gémissements de ma chair et vous serez pleine de joie. » Atala saisit mes mains entre les deux siennes. « Pauvre jeune idolâtre, s'écria-t-elle, tu me fais réellement pitié ! Tu veux donc que je pleure tout mon cœur ? Quel dommage que je ne puisse fuir avec toi ! Malheureux a été le ventre de ta mère, ô Atala ! Que ne te jettes-tu au crocodile de la fontaine ? »

Juste une petite question avant de vous laisser lire le texte 😇

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Résumé

Chactas raconte à René sa première rencontre avec l'Indienne Atala. Alors qu'il est fait prisonnier par sa tribu, et destiné à mourir sur le bûcher, Atala l'enjoint de s'échapper. Mais Chactas préfère brûler que de la quitter. Les larmes parlent alors pour la jeune fille, et le héros lui propose de fuir avec lui. Ils échangent leur premier baiser, avant qu'Atala n'annonce qu'elle ne peut pas s'enfuir.
Œuvre : Atala
Auteur : François-René de Chateaubriand
Parution : 1801
Siècle : XIXe

Thèmes

amour, transgression, religion

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Sans objet
Genre : Récit
Dominante : Narratif
Registre : Lyrique
Mouvement : Romantisme

Entrées des programmes

  • 4e - Se chercher, se construire : dire l’amour - Extraits de romans présentant l’analyse du sentiment amoureux
  • 2nde - Le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle
  • 1ere - Le roman et le récit du Moyen-Age au XXIe siècle